édito

L’enthousiasme n’a pas disparu. Le métier entre. La profession de directeur s’apprend. L’artisanat s’aiguise. On affine, on écoute, on améliore. Certaines critiques étaient attendues, d’autres ont détonné. Le métier entre. Et c’est avec un plaisir et une fierté nullement entamés que nous vous offrons cette SAISON_D’EUX, faite sur de nouvelles brisées, vers d’autres ouvertures. Elle donne toute la place aux AUTRES. Tout au POCHE /GVE parlera D’EUX en cette saison. Des étrangers. Étrangers à NOUS, étrangers à eux-mêmes. Et la parole viendra D’EUX : pas de discours sur les étrangers, mais une parole qui vient du lointain. Depuis le lointain Québec, où tout semble si loin et si proche. Depuis la plate Belgique. Depuis Stockholm. Depuis une grande ville d’Europe. Et ces lointains qui nous parlent D’EUX pointent non pas nos différences, mais ce qui nous unit : nos peurs communes, nos espoirs, mais aussi et surtout, nos responsabilités. Le monde dans lequel nous vivons est différent. Il n’a jamais existé avant. Il est pluriel, complexe, incompréhensible, difficilement explicable. Il ne se laisse pas réduire à des vérités simples et unilatérales.

Au POCHE /GVE, nous mettons les AUTEUR-E-S VIVANT-E-S dans la lumière : nos questions, nos soucis, nos obsessions, nos peurs et nos espoirs ont besoin d’écrivains d’aujourd’hui pour NOUS être racontés. Notre réalité mérite d’être décrite, écrite, questionnée, déplacée et sublimée. Nous avons besoin de pensées articulées sur le réel, de manières de le saisir. POCHE /GVE, c’est cette collectivité de pensées au présent, vivantes, pour interroger un point du monde.

POCHE /GVE est un théâtre. Mais un théâtre particulier. Ici, c’est le choix des textes par un COMITÉ DE LECTURE qui préside à la programmation de la saison. Ce sont donc les textes qui sont à l’origine, au centre, au début du travail : ce qui nous invite à interroger nos pratiques de production, à observer ce que font nos voisins, à nous inspirer des dispositifs de fabrication des Allemands, des Anglais, des Canadiens…
Mettre les textes au centre de notre fabrique de théâtre nous oblige également à devenir producteurs de la majorité de nos spectacles. POCHE /GVE, c’est un lieu qui produit local, dans le temps et l’espace, proche de NOUS, et qui fait partager toute l’amplitude du paysage de l’écriture contemporaine. L’usage veut que pour monter un spectacle, on réunisse un groupe d’acteurs et de créateurs pour une dizaine de semaines, pour répéter et jouer un texte devant un public. Et puis, ce collectif se dissout dans l’espace pour reformer d’autres équipes de création.
Cette forme de création, c’est ce que nous appelons les CARGOs. Mais à regarder toutes ces créations, ici et ailleurs, il nous semble que cette énergie créative, cette force de groupe, cet apprentissage de l’être-ensemble investi pour un seul texte, une création, puis perdu et dispersé dans le paysage sont en opposition avec une idée de la durabilité et de l’économie. Produire en nombre des spectacles pour une durée de vie limitée est-il encore // zeitgemäss // ?

Un SLOOP est la constitution d’un collectif de longue durée, pour la création de plusieurs textes, avec une scénographie commune. L’énergie du collectif grandit de textes en textes, sa communauté, sa réactivité, son intelligence collective sont décuplées.

Grâce aux expériences des deux premiers SLOOPs de notre SAISON_UNES, nous avons appris qu’en se mettant au service des écritures aussi entièrement, les acteurs révélaient la palette de leurs talents : nous avons fait un théâtre pour des textes et nous avons obtenu un théâtre où se donnent à voir le travail des acteurs.
À l’heure où la question des permanences artistiques, des collectifs et des ensembles est sur nombre de lèvres, plutôt que de simplement participer aux débats, nous passons aux actes, afin de pratiquer les possibles.

En mettant les textes au début, nous redonnons une place aux auteurs dans notre théâtre. Chaque saison, nous confions un travail réflexif, éditorial et d’accompagnement artistique à l’un-e d’entre eux : notre dramaturge de saison. Il ou elle (elle cette saison) rédige les cahiers de salle, seconde les collectifs artistiques et propose son point de vue sur la saison dans ce programme. C’est la vision de Pauline Peyrade qui vous ouvre la première porte sur notre deuxième saison. Comme nous croyons ensemble que le théâtre est un lieu d’émancipation et de libération, où le théâtre apparait entre vous et nous, nous vous donnons ce // roman dont vous êtes les héros //, tout comme vous êtes les héros de cette saison. Pour nous, le théâtre est lieu d’interprétations et d’interrogations. Nous livrons les questions. Vous reconstruisez les vides et les absences : l’odeur des incendies dans cette décharge d’Accra, celle du poulet de la bonne ménagère ou de son produit pour les vitres, ce paysage de fumées et de collines… Et nous faisons confiance à votre curiosité, à votre imagination, à votre participation. La fabrique du théâtre ne s’arrête pas avec nos semaines de répétitions, elle débute avec vous, le soir de la Générale.
Aujourd’hui, où la place de l’art, et du nôtre en particulier, est menacée : financièrement, par les politiques publiques ; moralement, par les défenseurs de nombreux apostolats ; et, statistiquement, par la défection des masses individualisées, je crois que la meilleure façon de défendre notre raison d’être est d’être radicalement d’aujourd’hui, d’être moderne.
Les opportunités sont partout : une nouvelle grande maison de théâtre à Genève, une émulation lémanique stupéfiante, de nouveaux directeurs avec de belles missions dans de nombreux lieux genevois et des spectateurs affamés de formes et de questions : nous avons tous un rôle à jouer dans la présence de notre art dans la Cité. Au POCHE /GVE, nous tenons le bastion des écritures résolument modernes, ouvertes aux mondes, aux AUTRES, aux existences différentes. Nous mettons du rire, de la profondeur, de la dérision, de la noirceur brillante, du décalage dans nos réels. Certains auteurs font fleurir des fleurs sur des décharges. Mais l’horreur et la beauté de ce que nous montrons sur notre petite scène est à peine à la hauteur de nos responsabilités. Nous savons qu’il n’est pas aisé de tenir cette place, mais avec votre fidélité de spectateurs, votre curiosité, vos yeux et vos oreilles ouverts, vous nous montrez votre désir de poésie, de travail, de langues, de pensées et de présences vivantes.

Et je vous en remercie.

 

_ mAthieu Bertholet

© 2016 POCHE /GVE tous droits réservés. Design: oficio - Développement: wonderweb