édito

Nous entrons dans notre troisième saison.
Et comme tout change toujours parce que tout reste toujours, une fois encore, nous changeons, nous grandissons, nous ouvrons de nouvelles portes, investissons de NOUVEAUX TERRITOIRES, au-delà des frontières, des styles et des langues, par-delà la barrière de rösti…

Après ces deux premières saisons, nous vous remercions pour VOTRE CURIOSITÉ ! Vous venez ici les yeux grands ouverts, prêtes* à entendre des voix inconnues. Nous vous remercions de VOTRE SOUTIEN : par votre présence fidèle et, aussi, par la voix que vous avez élevée contre les coupes dans les budgets de la Culture ! Nous vous remercions de VOTRE ENGAGEMENT à nos tables rondes, dans nos ateliers, au comité de spectatrices et comme spectatrices-citoyennes : vous avez déjà offert 117 billets suspendus et permis à de nouveaux publics de découvrir que le théâtre d’aujourd’hui, c’est POUR TOUT LE MONDE !

Je suis FIER ET HEUREUX de diriger l’équipe de ce théâtre : engagée, courageuse, elle porte avec moi ce projet. Un théâtre où l’on fait confiance à sa force. A son pouvoir d’illusion. Aux regards qu’il propose sur le monde dans lequel nous vivons. A sa capacité d’interroger le réel en le remettant en jeu. Au théâtre comme espace démocratique. Comme lieu de travail collectif. Comme force de questionnement et de dérèglement. Où le pire, par le biais de la langue, de la poésie, de la folie débridée, du jeu peut être pointé du doigt. Où nous pouvons prendre plaisir à regarder le doigt qui pointe, tout en nous laissant déranger dans notre manière de croire au monde. Où le théâtre est une place publique, un lieu de débats. Où les spectatrices agissent, prennent le pouvoir et s’engagent. Je suis FIER ET HEUREUX de vous proposer d’entrer dans cette nouvelle saison ! Une troisième saison traversée de paroles d’hommes, de leurs peurs, de leurs espoirs de leurs deuils et de leurs échecs, de leurs MURMURES. Une saison_drüüü faite de drôleries, d’absurdités et de RIRES, de rêves, de souvenirs et d’imagination. Une saison où vous découvrirez sans doute un des premiers ROAD MOVIES de théâtre, où vous ferez connaissance avec les plus prometteuses des auteures suisses allemandes. Et comme vous en avez pris l’habitude, où vous serez surprise de vous rencontrer, curieuse de découvrir de jeunes talents de la scène ou de voir celles que vous connaissez déjà si bien se lancer vers de nouvelles aventures !

Une saison_drüüü où nous traversons la barrière de rösti plutôt que de courir le nouveau fruit exotique, le nouveau filon, la nouvelle tendance. Où nous vous montrons ce qu’on ne voit pas partout, ce à quoi on ne pense pas toute seule, mais à quoi nous pouvons RÉFLÉCHIR MIEUX ENSEMBLE. Où nous vous livrons le poil à gratter du cerveau plutôt que le prêt-à-penser… Une troisième SAISON où nous ouvrons plus grand encore les portes et où nous marquons quelques changements. A trois saisons, on n’est PAS TROP VIEILLES POUR CHANGER ! Nous nous ouvrons vers de nouvelles collaborations avec des théâtres et des partenaires de Suisse, de France et de Belgique. Nous embarquons dans Stücklabor, programme suisse de soutien aux auteures. Et comme nous vous y avons habituées jusqu’ici, nous aiguisons votre regard sur des œuvres que vous ne connaissez pas encore : tous les textes de cette saison vous sont présentés en première francophone. Des créations de textes faites ici, chez nous, LOCALEMENT. Dans nos murs, portes et fenêtres ouvertes. Beaucoup des artisanes de cette troisième saison sont d’ici et réaliseront ces spectacles ici, à Genève. DEVANT VOS YEUX en répétitions ouvertes, débattues et discutées avec vous dans les [re]mises en jeu.

Un léger vent de changement souffle avec le retour du festival de La Bâtie, que le POCHE retrouve après plusieurs années, retour qui se fera avec le Ballet Junior pour un spectacle où danse et théâtre feront parquet commun. Vent plus fort encore parce que ce projet à part sera ma première mise en scène au POCHE : contraignant depuis deux ans les metteures en scène des SLOOPS à créer dans une forme de production hors du commun, et qu’il n’est jamais bon d’exiger plus des autres que de soi-même, je me plie aux mêmes règles pour La Bâtie. Changement plus important encore, nous allons jouer un CLASSIQUE, un classique CONTEMPORAIN ! Toujours aussi ferventes des écritures d’aujourd’hui, nous voulons asseoir les textes que nous présentons dans une histoire, leur donner un passé pour présager du futur qui les attendrait. Qui peut savoir lesquelles de ces nouvelles plumes laisseront une trace de notre époque ? En mettant ces auteures vivantes en regard d’auteures dont le talent et la nécessité sont déjà reconnues, nous les inscrivons dans une histoire. Les auteures que nous vous présentons sont souvent des inconnues et nous nous en remettons entièrement à votre curiosité et à leur talent pour que VOTRE RENCONTRE ait lieu.

Vous venez curieuses. Vous êtes dé-rangées, dé-placées, questionnées par ces auteures vivantes. Vous êtes saisies par la beauté, la poésie, la langue de leurs textes. Vous vous distrayez de vous-mêmes, vous vous reconnaissez dans ces vents contraires. Vous venez au POCHE vous renseigner sur vous-mêmes.

Bienvenue au théâtre. Bienvenue chez vous.

 

_ mAthieu Bertholet

 

 

 

__ mot de la dramaturge

 

j’entends des voix. le murmure minuscule de cet enfant de Berlin-Est, qui joue dans le béton pendant que le monde libre importe ses publicités sur les façades. le cri de colère de cet homme d’intelligence moyenne qui travaillait dans une banque de taille moyenne et portait des cravates pour homme de classe moyenne avant que tout disjoncte foute le camp et qu’il hurle sa rage du haut des tours néolibérales.

qui dit voix dit crachat et dit souffle. du souffle, il en faut pour tenir toute la nuit aux côtés d’une femme avec un couteau dans la main et lui souffler de l’espoir quand soi-même on n’a pas de maison où rentrer et pas les papiers exigés pour se promener sur cette planète. et comme une parole incarnée, c’est de la respiration de l’endurance un peu comme de l’alpinisme, on se réchauffe au coin du feu avec la parole d’un fou des sommets rescapé de sa propre ivresse de vivre.

pour prendre des forces et de la confiance en soi, on s’imprègne des récits de ceux qui ont réussi. les entrepreneuses, les self-made women. parmi elles, il y a Robert. il a créé une multinationale de l’humour. un vrai festival. il n’est pas très marrant, pourtant. ses frasques, elles enverraient n’importe qui derrière les barreaux. mais pas lui. non, lui, il passe à la télé. le capitalisme est une affaire de clowns tristes.

de l’autre côté de la barrière invisible, on rencontre les paumées, les désabusées. celles d’ici sont des oiseaux rares, elles roulent en taxi. reste qu’elles ressemblent à la jeunesse du monde entier, pas grand-chose à perdre, peut-être des choses à donner. dans l’endroit où elles habitent, tout s’échange, tout se troque. rien n’est gratuit. tu préfères être client ou marchandise ? souvent, sans t’en rendre compte, tu te transformes en bête sauvage.

et puis, il y a cette femme. une bière des Franches-Montagnes à la main, elle rêve d’ailleurs. et pour elle, ailleurs, c’est avant. alors, elle fait revenir les disparus, puisqu’ils ont foutu le camp. une mélancolie ouatée qui nous enveloppe aussi fort que le brouillard jurassien. et la conscience aigüe du temps qui passe.

alors l’enfance, elle débarque en plein milieu de tout ça, comme un spectre. le temps des contes de fée, l’époque où on croyait encore qu’on pourrait se perdre dans la forêt et revenir, qu’il suffirait de semer des petits cailloux. mais dans les méandres du monde adulte, les autoroutes du désir ne mènent que rarement vers les hauteurs. par contre, toujours possible de se fourvoyer les sens dans les marécages des pharmacopées.

avoir été. entre l’ici et maintenant, la présence sur les listes d’appel à l’école et celle au cimetière, juste un petit verbe pour faire la différence. un adolescent atterrit entre les girouettes colorées et les fleurs tombales. il a demandé à reposer à côté de son hamster. Frazer le hamster. le gamin est mort mais pourtant, on rigole bien. c’est même étonnamment drôle.

peut-être que dans nos contrées, on devrait aussi apprendre à rire, et pas juste à se lamenter. plutôt que d’aller tout droit de la salle de classe au bureau au lit d’hôpital au cercueil. extirper nos religions de nos corps. les arracher de nos entrailles. arrêter de se flageller de courir de consommer. ne pas mourir de vouloir trop vivre. inventer du commun. partager du sensible. parler aux gens. lire des livres. aller au théâtre.

bordel, oui. aller au théâtre.

 

_ Marina Skalova

© 2017 POCHE /GVE tous droits réservés. Design: oficio - Développement: wonderweb