LA BEAUTÉ D'UN IMPROMPTU


RESTER MOI-MÊME


LES SINGULIÈRES, FESTIVAL PRINTANIER


Les Singulières : La septième vallée de Jacques Probst


LA BEAUTÉ D'UN IMPROMPTU
 

Alexandre Demidoff, Le Temps, 14 avril 2015

 

Françoise Courvoisier: « Pour clore mon mandat au Poche de Genève, j’ai voulu un festival qui ait la beauté d’un impromptu»

 

L’artiste genevoise propose dès mardi Les Singulières, soit une dizaine de spectacles musicaux ou poétiques, comiques ou déchirants à découvrir jusqu’au 9 mai.

 

Entretien avec Françoise Courvoisier

 

Quand vient le printemps, il faut fêter. Quoi? Le plaisir des baisers volés, le théâtre qui s’enflamme, le large qui clapote. Cette fête, c’est celle que Françoise Courvoisier offre au public dès ce mardi. L’artiste et metteur en scène achève sa douzième saison à la tête du Théâtre de Poche à Genève. Dans deux mois, elle passera le flambeau à l’auteur Mathieu Bertholet. Avant l’extinction des feux, elle a conçu un festival, Les Singulières, soit une dizaine de pièces, musicales, mutines, comiques ou flibustières, à fredonner dans son fauteuil jusqu’au 9 mai. A l’affiche, un parfum différent chaque jour. Complément Dutronc lance les festivités, avec Castou, Christine Vouilloz, Bastien Semenzato, entre autres. Barbara, l’âge tendre suit, mercredi et jeudi. «La jeune Aude Chollet n’interprète pas Barbara, elle la ressuscite», s’enthousiasme la maîtresse de maison.

 

D’où vient l’idée du festival?

 

J’avais envie d’un clin d’œil aux artistes qui m’ont accompagnée pendant douze ans. En janvier, j’ai envisagé un spectacle supplémentaire. Mais c’était très cher. A la place, j’ai imaginé un festival qui aurait la beauté d’un impromptu, léger et printanier. J’ai appelé des acteurs que j’aime, je leur ai proposé textes et auteurs; ils étaient partants. Après, tout s’est fait très vite.

 

Est-ce à dire que ces spectacles s’apparenteront à des premiers jets?

 

Oui et non. Prenons Mathilde, cette Phèdre moderne imaginée par la Française Véronique Olmi – à l’affiche samedi 18 avril. Elle raconte l’histoire d’une femme qui sort de prison pour détournement de mineur. Elle retrouve son mari, un médecin. S’ensuit un affrontement très violent. Je dis ce texte avec Christian Gregori. Au départ, nous pensions interpréter l’œuvre avec la brochure dans les mains. Finalement, nous la jouerons vraiment, mais avec une souffleuse à vue.


Et «La Septième Vallée», ce texte que le Genevois Jacques Probst écrit en 1978 pour l’inauguration du Théâtre Kléber-Méleau à Renens? Vous le présentez les 7 et 8 mai avec une distribution à faire pâlir d’envie vos collègues.


Vous découvrirez en effet une forêt de grands acteurs, dont Anne Vouilloz, son frère Roland, mais aussi Juliana Samarine, Julia Batinova, José Lillo, Raoul Teuscher, etc. Ils diront les répliques, sans les connaître forcément par cœur. Quant aux descriptions qui sont en elles-mêmes des poèmes, c’est Jacques Probst lui-même qui les lira.


Jacques Dutronc en ouverture, c’est un étendard?

 

Dans toutes les pièces à l’affiche, il y a une envie de sortir du cadre. Dutronc, c’est le symbole de ce que nous avons essayé de faire pendant toutes ces années. Il est dandy, il n’est jamais violent mais toujours piquant. Ce que j’ai souhaité au fond à travers ce festival, c’est donner envie d’aller au théâtre, surtout à ceux qui n’y vont jamais.


 

RESTER MOI-MÊME
 

Katia Berger, Tribune de Genève, 14 avril 2015

 

« J’AI PASSÉ UN PACTE AVEC LE PUBLIC : RESTER MOI-MÊME »

 

Pour Françoise Courvoisier, qui clôt douze ans à la tête du Poche, sonne l’heure du bilan.

 

Septième à diriger le Théâtre de Poche après des figures telles que William Jacques, Richard Vachoux, Gérard Carrat ou Martine Pachoud, Françoise Courvoisier achèvera cet été son troisième et dernier mandat. Avant de conclure sa saison et de passer le relais à son successeur, Mathieu Bertholet, il lui reste deux marches à gravir : un accueil à la fin de mai, qui rassemblera Harold Pinter, Gérard Desarthe et Carole Bouquet sur la petite scène en Vieille-Ville ; et surtout un festival impromptu qu’elle a glissé dans sa grille, Les Singulières, qui verra ses complices sur douze ans faire un ultime tour de piste. Sans l’ombre d’une larme au coin de l’œil, mutine et volontaire comme à son accoutumée, la patronne en partance reçoit la Tribune pour un bref check-up à l’entrée du virage.


Alors, heureuse ?

 

Très. J’ai toujours dit que je ferais douze ans de direction et, en général, je respecte mon programme. J’éprouve aujourd’hui un sentiment d’accomplissement. J’ai développé ce que je voulais développer. C’est le bon moment de partir et de laisser ma place.


Quel était votre projet initial pour le théâtre au moment d’en prendre la tête en 2003 ?

 

Rien de calculé. Mon projet tenait dans mes désirs. Ma ligne artistique a pu s’accomplir facilement, puisqu’elle correspondait à mes envies. Mettre l’acteur au cœur de la représentation. Mettre en avant les écritures contemporaines, à travers un grand nombre de créations. Et favoriser le rayonnement des artistes romands à travers les tournées à l’étranger.

 

Comment résumer votre apport effectif au Poche ?

 

Particulièrement dans ce théâtre, il faut privilégier les comédiens. Or, qui dit comédien dit texte, et metteur en scène. Donc, pas de scénographies énormes. Une communication qui a maintenu le même concept de gros plans d’acteurs pris au naturel. Et le rayonnement a été favorisé comme je le souhaitais. Il me semble que j’ai tenu mes paris.


Le Poche accueille près de 20'000 spectateurs par saison. Craignez-vous de leur manquer ?

 

Un des secrets de la bonne fréquentation, c’est de proposer beaucoup de représentations, sans creux. Un spectacle qui marche fait de la publicité pour le suivant. Ma plus belle récompense est d’avoir vu le public me suivre ce point. Il a été sensible à mes prises de risque au point d’accepter toute proposition inédite. Le pacte que j’ai passé avec lui, c’est d’être moi-même. Je ne me suis jamais forcée à prendre un spectacle, j’ai toujours une raison pour le faire. Le pire serait qu’un directeur de théâtre n’assume pas un spectacle. Il faut le cautionner, surtout dans le cas de créations. Et si le bébé arrive avec un œil en moins, eh bien on le défend quand même. Mon successeur partage ce goût du risque. Je sens plein de rêves et d’enthousiasme chez lui.

 

Pensez-vous qu’il y ait une manière féminine de diriger un théâtre ?

 

Je ne m’en réclamais pas au départ, mais je réalise qu’il y a beaucoup de féminité au Poche. Cela dit, la féminité n’est pas l’apanage seulement des femmes. Avoir envie que les gens soient bien, tant les artistes que les spectateurs, assurer cette chose un peu ronde de l’accueil est un plus. Se rappeler que le détail, c’est la profondeur. Un homme peut en faire preuve tout aussi bien.

 

De quoi vous remercie-t-on ? Et que vous reproche-t-on ?

 

On me remercie pour la découverte que j’offre. Pour ma fantaisie, mon profil singulier. Et on peut me reprocher d’être dirigiste. Je sais ce que je veux, et surtout ce que je ne veux pas. C’est un mal nécessaire.

 

Quels sont vos projets ?

 

Je n’exclus pas de remonter sur scène. Mais la chose dont je ne pourrais me passer, c’est la mise en scène. J’ai donc des projets, que je réaliserai après une respiration de plusieurs mois. Je ne veux plus agir dans l’essoufflement. Je ferai du théâtre n’importe où. Je suis plutôt démerde. Je ne m’inquiète pas.

 

LES SINGULIÈRES EN GUISE DE SALUT

 

Singulières, mais plurielles. Avec une entorse à la grammaire, puisque le féminin l’emporte ici sur un masculin pourtant actif au sein de ce minifestival de fin de mandat.

Une manifestation sur quatorze soirées, montée « à l’arrache » selon Françoise Courvoisier, pour remercier les compagnons, tant artistes que spectateurs, qui ont fidèlement porté le théâtre auprès d’elle douze ans durant.

Pas moins d’une cinquantaine de complices en tout – de Jacques Probst à Bérangère Mastrangelo, en passant par Pierre Miserez – y occuperont successivement un plateau nu, le temps d’une représentation ou deux. Tous les genres s’y conjugueront, prouvant qu’une scène peut s’animer de toutes les manières, à condition d’y mettre l’élan. De la chanson, avec notamment neuf comédiens qui donneront de la voix dans Complètement Dutronc ou des airs ressuscités dans Barbara, L’âge tendre. Des lectures, données par Fabienne Guelpa, ou Christian Gregori et Françoise Courvoisier. Des concerts, du violoniste Martin Reimann, du couple Claude Darbellay-Michèle Courvoisier ou du groupe Vaëna’s Project. Sans oublier le théâtre, bien sûr, que feront vivre Serge Martin, Fanny Pélichet ou Vincent Bonillo entre autres.


 

LES SINGULIÈRES, FESTIVAL PRINTANIER
 

Rosine Schautz, Scènes Magazine, avril 2015

 

Consistant en 14 soirées exceptionnelles, il réunira une cinquantaine de comédiens romands ayant participé à la vie du Poche ces douze dernières années.

 

Pourquoi Les Singulières ? Car il s’agit de soirées ‘singulières’, c’est-à-dire étonnantes et rares, qui donneront l’occasion aux artistes participants de s’aventurer un peu en dehors de leurs sentiers habituels, comme l’a souhaité la maîtresse des cérémonies Françoise Courvoisier, de façon à leur faire changer de répertoire et d’emploi, et de montrer aux spectateurs certains de leurs talents cachés.

 

Quatorze soirées extraordinaires aussi en ceci qu’elles ont été parfois inventées et montées en quelques jours, pour des raisons de calendrier et de disponibilités des artistes, souligne, enthousiaste, Françoise Courvoisier. Et enfin, cadeau surprise pour le public du petit théâtre en Vieille-Ville que la directrice quittera à la fin de la saison, « La Septième Vallée » de Jacques Probst - auteur dramatique que l’on ne présente plus - datant de 1978 et dédiée à Philippe Mentha, pièce qui liera en un bouquet final polychrome vingt comédiens pour seulement deux représentations (6-7 mai)!

 

De la chanson pour lancer ce festival transversal avec d’abord un spectacle autour de Jacques Dutronc, un autre autour de Barbara, puis le Vaëna’s project qui proposera quelques compositions originales superposées à des standards de jazz. Puis suivront du théâtre-performance à deux personnages (Mathilde de Véronique Olmi avec Christian Gregori et Françoise Courvoiser), le stand-up de David Gobet, le monologue L’Intime du large créé en 2004 de Fabienne Guelpa, aux accents presque durassiens, le solo humoristique de Pierre Miserez, puis le Joyeux Bordel en trio de Bérangère Mastrangelo, Philippe Mathey et Lee Maddeford.

En seconde partie de festival, un texte de et par Serge Martin, un concert de Claude Darbellay avec Michèle Courvoisier au piano (Winterreise de Schubert), un duo né d’une série d’improvisations retranscrites qui nous parlera du bonheur…d’être (mal)heureux, un concert de violon (Six Sonates d’Isaÿe), une évocation de Grisélidis Réal par une jeune interprète française, et last but not least le texte de Jacques Probst : « Votre visite m’honore. La visite du plus grand poète de la nation m’honore... Souvent j’ai désiré rencontrer l’auteur de si fortes œuvres. Vos poèmes… renouvellent le sens de notre littérature. Un souffle d’incroyables épaisseurs de poussière » dit le Président au poète Corbeau en début de pièce.

 

Allons donc gaiment entendre tous ces ‘souffles d’incroyables épaisseurs’ printaniers qui ‘honorent’ l’art de la scène et montrent comment faire un théâtre pluriel de façon délibérément singulière !


 

Les Singulières : La septième vallée de Jacques Probst
 

Rosine Schautz, Scènes Magazine, mai 2015

 

Nuit. Cercle de lumière au centre de la scène. Corbeau y bondit. On voit dans ses yeux, son cœur, son ventre, ses mains, notre planète entière qu’il a avalée, un jour.

 

Corbeau: Immense. Immense. Immense. Mais c’est l’enfer. L’enfer. C’est l’enfer (…)

Voix de Malvia: Je t’aime. Je t’aime. Sais-tu que je t’aime ? En ce temps-là où tu es en moi, je t’appartiens, sais-tu cela ? M’aimes-tu ? M’aimes-tu ? Prouve que tu m’aimes. En ce temps-là où je suis en toi, m’appartiens-tu ?  

 

Ainsi commence la pièce de Jacques Probst qui sera présentée au Poche deux soirs seulement. A agender fissa ! Pour plusieurs raisons : le spectacle réunit une kyrielle de comédiens, véritable tour de force sur la scène de poche du théâtre éponyme, le texte mêle poésie et politique, l’écriture est vive, scandée, rythmée comme le sont parfois les joutes oratoires ou les matches, et le thème touchera là où ça fait mal, et aussi là où ça fait du bien.

 


Entretien avec Jacques Probst

 

Comment est née cette pièce, l’idée de cette pièce ?

 

Pro Helvetia m’avait promis 12'000 francs, en 76, pour écrire une pièce. Ils attendaient de moi que je leur envoie un synopsis. J’ai mis trois mois à le préparer. A l’époque j’habitais dans une étable à chèvre dans les montagnes, et je dormais dans le foin avec mon chien. Lovay m’avait prêté une étable à chèvre dans le Val d’Anniviers. Un jour, il est venu me trouver, on a bu un café, et tout à coup il m’a dit : « Imagine qu’on entende un haut-parleur qui annonce que tous les hommes de 18 à 50 ans doivent se présenter sur la Grand’Place avec leurs fusils. Tout le monde mobilisé. Qu’est-ce qu’on ferait ? On prendrait deux meules de fromages dans notre sac, on foncerait à la maison, on emmènerait de la viande séchée, on prendrait nos chiens, et on se tirerait tout de suite je pense. »

L’idée, l’impulsion de ce récit, est née de ça. Le haut-parleur, Lovay. Puis j’ai imaginé une révolution anarchiste dans ce décor de montagnes et de vallées. Mais comme je tuais le Président d’emblée, j’avais mauvaise conscience d’accepter l’argent de la Confédération et de dégommer la Suisse. Mes copains de l’époque m’ont dit, bah, prends l’argent, écris, et si t’as vraiment mauvaise conscience, tu fais échouer ta révolution anarchiste. Alors c’est ce que j’ai fait.

J’ai envoyé mon synopsis à Pro Helvetia, j’ai raconté la prise de pouvoir dans les montagnes. Pro Helvetia a accepté, et j’ai raconté l’histoire par écrit. J’ai aussi pu par la suite choisir le metteur en scène, j’avais pris Mentha.


D’où viennent les noms des gens, des lieux? Vous les inventez, vous les transcrivez ?

 

J’aime inventer des noms. J’en ai imaginé quelques-uns, et aussi j’en ai repris qui existaient dans les montagnes. Gé, c’était un certain Gérard, Clovis, un cantonnier que je connaissais par exemple. J’aime inventer des sonorités, des noms, qui sonnent parfois comme une autre langue.

 

Ramuz est une référence pour vous, a été une référence pour écrire ce texte ?

 

Pas spécialement. Mes influences, c’est surtout les discussions que j’avais avec Lovay. Je ne l’ai pas revu depuis une dizaine d’années, mais ça ne fait rien, si on se revoit, on rediscutera comme avant. Non, mes influences littéraires, en fait c’est Thelonious Monk. Les solos. C’est ce qui me donne la littérature, le littéraire. Avec Bach aussi peut-être. Mais j’aime bien Ramuz aussi….

 

A un moment Corbeau, le poète, dit en parlant de ses poèmes : « seuls en sont écrits les deux derniers vers ». Vous commencez aussi vos textes par les deux dernières phrases ?

 

Oui, ça m’arrive parfois. Je sais comment ça finit, et je retrouve le début…


Malvia crie en leitmotiv, presqu’en récitatif, ses « je t’aime » à Corbeau : comment l’entendre ?

 

Souvent, dire « je t’aime » veut dire « aime-moi !». C’est plus une demande qu’une déclaration.


Sauf pour Corbeau, qui après 80 pages, arrive enfin à dire « je t’aime » à Malvia. Là il me semble que ce n’est plus une demande, mais bien un aveu, une déclaration…

 

Oui, là il admet qu’il l’aime, et il le lui dit.


Les monologues du poète sont écrits sous forme de poème dans le texte : est-ce ainsi que vivent les auteurs de poèmes? Ils parlent en poète dans la vraie vie quand ils dialoguent ?

 

C’est en tout cas sa manière à lui de vivre. Je ne sais plus bien pourquoi, la pièce date d’il y a 40 ans, je la relis, la redécouvre avec Françoise Courvoisier et ses acteurs. Je ferai, je dirai les didascalies, car ce ne sont pas que des indications de mise en scène, mais déjà du texte théâtral pour moi. Donc oui, les poètes vivent en poésie, comme les auteurs vivent avec leurs textes intérieurs.

 


 

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