GENÈSE


GENÈSE
 

notes de Julie Duclos

 

 

Emprunter le titre primitif de La Maman et la Putain* n’est pas anodin, c’est une façon d’inscrire notre travail dans les sillons du film. Mettre en scène Du Pain et des Rolls c’est repartir de la genèse du film, pour construire notre écriture, et voir où cela nous mène aujourd’hui. Comment en sommes-nous arrivés là ? Ça ne commence pas par une admiration pour le film ou les acteurs du film. Cela viendra plus tard. Mon attirance pour La Maman et la Putain vient d’ailleurs. C’est par la découverte, avec Philippe Garrel, d’une nouvelle façon de voir le travail de l’acteur, que je rencontre le texte de La Maman et la Putain. Ce sont deux événements inséparables l’un de l’autre.

 

«On va tourner dehors. Sortir de l’école c’est très important, pour dé-théâtraliser le jeu», disait Garrel. En 2008, au Conservatoire national supérieur d’art dramatique où je suis élève, Philippe Garrel est professeur de «jeu devant la caméra». Le scénario est notre matériau d’apprentissage, nous tournons des scènes du film à chaque cours, en dehors de l’école: à l’hôtel, dans la rue, au café. Situations qui composent au fil de l’année une grammaire de la vie amoureuse, dans lesquelles on se reconnaît, d’autant plus qu’elles sont incarnées par une bande de copains. Garrel a une méthode qui propose un regard nouveau sur l’acteur, une nouvelle façon de jouer. Le but est de donner des armes à l’acteur afin que son jeu soit vrai, et actuel. «Quand ça tourne, il faut laisser faire le documentaire sur soi. Ta vie continue même si tu dis des choses imaginaires. Il faut mélanger les dialogues aux pensées de ta vie réelle. C’est comme ça qu’on obtient de la présence», disait-il. À la fin de l’année nous aurons presque traversé tout le film, par bribes. Ou plutôt, le film aura traversé tous les corps, toutes les voix, les visages. «L'idée de la Nouvelle Vague c'était de filmer des hommes et des femmes dans le monde réel et qui, voyant le film, sont étonnés d'être eux-mêmes et dans le monde», dit Godard.

 

Il y a une autre rencontre, qu’il faut évoquer parce qu’elle continue l’histoire avec Garrel, c’est la rencontre avec Krystian Lupa, metteur en scène polonais. Il a en commun avec Philippe Garrel cette passion pour inventer de nouveaux processus de recherche pour que l’acteur se mette en jeu autrement, et touche au final à une vérité de présence. L’outil principal de l’acteur consiste à écrire des monologues intérieurs, c’est-à-dire écrire de façon sauvage, spontanée, tel quel, le flot intérieur de pensées d’un personnage, en fonction d’une situation. Dans ce cadre, la liberté est totale.

L’importance donnée à l’écriture me frappe. Lupa invite l’acteur à développer une rêverie, un paysage, par l’écriture, pour que le geste d’écriture inscrive quelque chose dans le corps, de manière inconsciente. Toute la part invisible déployée en soi, avec ses monologues, crée les conditions justes pour monter sur le plateau, où l’acteur a de la présence parce qu’il porte en lui un monde, inconnu du spectateur. On voit ce qu’il dit, ce qu’il fait, mais on perçoit aussi une toute autre dimension. Par ce biais, l’acteur rejoint un état de vérité. Il est dans un processus réel où, comme dans la vie, on n’est pas toujours entièrement à ce qu’on dit ou ce qu’on fait, il y a des couches de pensées.

 

Cette approche est un outil merveilleux pour aborder Du Pain et des Rolls. Si le scénario d’Eustache est si fascinant, c’est par la complexité de ses personnages et des situations. Il y a un mystère dans les rapports. La force du film tient dans cette part d’obscurité. Comme s’il fallait comprendre la vie souterraine des personnages, ce qui les fait cheminer vers la parole. C’est cette expérience que je propose de remettre en jeu avec les acteurs.

 

 

 

* Du pain et des Rolls est le titre primitif du film La Maman et la Putain, « pour donner une idée du besoin de provocation qui était le mien* », écrit Jean Eustache, dans sa préface au scénario, en 1972.  Un titre qui n’a pas servi, un besoin de provocation. C’est un bon point de départ.


 

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