UNE URGENCE DE DIRE


PUTE ET FIER


UNE URGENCE DE DIRE
 

Entretien avec Darina Al Joundi, réalisé Par Katia Gandolfi

 

 

D’où te vient cet amour pour la liberté ?

 

En premier lieu, de mon papa.

Et en second lieu, tout simplement de la vie. J’ai grandi au Liban pendant la guerre et, dans les pays en guerre, la liberté est absolue. Il n’y a plus de lois, de police, d’état. Les masques tombent et paradoxalement l’on vit presque une situation idéale car subsiste une forme de liberté sans mensonges. Afin de vivre ensemble, il faut juste savoir la gérer, cette liberté, d’où la nécessité de créer ses propres codes.

 

 

Qu’a signifié pour toi le fait d’obtenir la naturalisation française ?

 

L’un des droits fondamentaux de la charte des Droits de l’Homme est celui de la liberté de circulation. C’est un droit que, jusqu’à l’obtention de ma nationalité française, je n’avais jamais pu exercer. Jusqu’en 1995, je ne possédais pas de passeport. Par la suite, j’ai reçu celui libanais mais il ne m’autorisait toujours pas à circuler librement.

Au niveau humain, cette nouvelle nationalité me permet tout simplement de me sentir comme les autres et, au niveau professionnel, elle me facilite énormément la vie. Je me souviens de ma première tournée avec Le Jour où Nina Simone a cessé de chanter, qui a été un réel calvaire au niveau administratif.

 

 

Aujourd’hui tu habites en France, comment perçois-tu la laïcité ?

 

À l’heure actuelle, avec autant de mélanges ethniques, la laïcité est pour moi l’un des seuls moyens de vivre ensemble. En Orient, l’absence totale de laïcité est la cause de conflits ravageurs. En France et dans les pays qui se veulent laïcs, la laïcité, malgré les apparences, n’est pas profondément ancrée dans les mentalités : l’héritage culturel et religieux est encore très présent et crée des problèmes. Cela m’attriste de constater que le rêve d’une société 100% laïque est pour le moment irréalisable.

 

 

L’auteur, metteur en scène et comédien Philippe Caubère a dit de toi que tu étais une « combattante joyeuse », est-ce exact ?

 

Oui, je suis « joyeuse » autant dans ma façon d’être que d’écrire. J’ai en quelque sorte trouvé ma force dans le rire : l’arme avec laquelle je me bats est l’humour. Parfois les situations sont tellement surréalistes et absurdes, que le seul moyen de les dépasser demeure le rire. D’ailleurs, c’est dans les moments les plus douloureux de ma vie et dans les endroits ou les moments les plus inappropriés, comme dans les abris pendant la guerre ou lors d’enterrements, que j’ai eu les meilleurs fous rires !

Le rire est une arme contre la mort.

 

 

Qu’a représenté le théâtre pour toi lors de ta jeunesse au Liban et aujourd’hui ?

 

On ne vit pas le théâtre réellement dans mon pays, ce n’est que depuis que je suis en France et que j’ai l’opportunité de faire des tournées, que je réalise quel magnifique espace de création, d’expression et de liberté est la scène. Je n’avais jamais eu la chance de me confronter à autant de théâtres et de publics différents, à collaborer avec autant d’équipes artistiques, techniques et de production et je ne découvre que maintenant le processus d’un comédien sur les planches. Le théâtre est un luxe où le comédien a le temps d’évoluer.

 


L’écriture est-elle pour toi une compagne quotidienne ou a-t-elle été un mode d’expression temporaire pour exorciser des événements douloureux de ta vie ?

 

Depuis mon enfermement au Liban, c’est devenu une compagne quotidienne. Elle est née par nécessité de dire, les mots devaient sortir et l’écriture m’a permis de les évacuer.  Je définis mon écriture comme de l’auto-fiction, car mes récits découlent toujours de mes expériences personnelles ou de celles de mes proches. Ils sont issus d’une vérité.

Dans le cas de Ma Marseillaise, j’ai eu subitement besoin de parler, de raconter ce que j’étais en train de vivre, comme une urgence de dire.

 

 

Noun, l’héroïne du Jour où Nina Simone a cessé de chanter et de Ma Marseillaise, quel type de femme est-elle ?

 

Noun est une femme libre. C’est une combattante qui sera toujours là pour parler des femmes et pour défendre leur droits. Noun est « l’un de mes moi » et elle exprime sur scène ce que je m’empêche de dire dans la vie réelle. La scène est un terrain de jeu et de liberté absolue, où tout peut être dit et où le public tolère tout.

 


Quels sont tes projets ? Prépares-tu une suite à l’histoire de Noun ?

 

Je finalise mon nouveau roman, sorte de biographie romancée, qui sera bientôt édité chez Grasset et je reprends Les Chaussures de ma vie, une pièce que j’avais écrite avec Serge Sàndor avant Ma Marseillaise.

Quant à Noun, c’est une grande gueule, dès qu’elle aura à nouveau envie de l’ouvrir, elle ne s’en privera pas.

 

 

Tu as déjà joué au Poche en 2008, quel effet cela te fait de retourner sur cette scène?

 

Pour moi, c’est un énorme honneur de retrouver ce théâtre et ses spectateurs. Je suis très touchée d’imaginer que le public qui m’a déjà vue évoluer sur la scène du Poche revienne me voir. De plus, par un heureux hasard, la 100ème de Ma Marseillaise sera jouée au Poche et ce sera d’autant plus festif.


 

PUTE ET FIER
 

Extrait de la préface de Ma Marseillaise par Philippe Caubère 

  

 


Darina Al Joundi est une combattante, une femme libre, une poétesse, comédienne qui plus est. L’histoire qu’elle raconte dans son spectacle Ma Marseillaise, comme celle qu’elle racontait dans le précédent, Le jour où Nina Simone a cessé de chanter, est tragique, douloureuse, effroyable parfois. Elle nous la conte avec ses mots, son corps, sa voix. Elle nous parle de l’Orient, de son père, de ses amies, des hommes et des femmes de sa vie, de son monde et de son pays. Le Liban. Elle nous parle de la France aussi, beaucoup, de cet amour – fou – que lui portent certains, certaines, bien plus « français », et de cet amour qu’elle ne leur rend pas ou si peu ou si mal. Le cauchemar kafkaïen de la recherche des « papiers » qui reconnaîtront cette profonde appartenance qui brave et dépasse les distances et les nationalités, qui cautionneront cet amour, elle nous le décrit précisément, sans rien en cacher, mais nous le joue avec humour, comme on dit, un humour noir comme il en est peu, sarcastique et surréaliste. Elle parcourt la scène dans un rire joyeux, féroce, qui, bien souvent, masque le sanglot. (…)

 

Elle parle enfin de la morale, sexuelle en particulier, et de la liberté. Il est presque stupéfiant d’entendre aujourd’hui une femme en parler comme cela, sans haine ni moralisme, sans désir de castration ou d’interdit. Mais en mettant, au contraire, au centre de la question celle de la liberté. Rien sans la liberté. Rien de mieux, de plus précieux, que la liberté. Sans quoi nul respect n’est possible, ni progrès ni bonheur tout simplement.

 

Darina Al Joundi, malgré les coups et les blessures, est une combattante joyeuse et une femme heureuse. Cela se sent et, cela se voit. Le terme, aussi usité ces temps-ci que galvaudé, de « féministe », elle lui rend toute sa grandeur, sa vigueur, sa dignité. Elle qui ne se proclame pas comme telle pourtant ni ne l’affiche tant que ça, l’est de la tête aux pieds.

 

 


 

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