NOTE D'INTENTION


JOURNAL 1977-1990


NOTE D'INTENTION
 


Pourquoi monter la pièce aujourd’hui ? D’où vient mon désir ? Je pense qu’à un moment ou le risque d’isolement et de solitude est grand dans un monde ultra technologique qui tente de substituer à la chair et à l’affect des échanges virtuels et abstraits, Derniers remords résonne de façon troublante.

 

Contrairement aux jeunes d’aujourd’hui, souvent déjà installés et en couple à vingt ans, les trois personnages centraux de la pièce de Jean-Luc Lagarce, Hélène, Pierre et Paul, ont tenté dans leur jeunesse, porté par la fameuse révolution de 68, de vivre autrement. Il ont cherché à élargir les limites du couple, rivé au nombre deux, et se sont installés tous les trois dans une maison à la campagne pour vivre une histoire d’amour libre et sans interdit.

 

C’eût été possible si les deux hommes n’avaient pas tenté de savoir « lequel des deux Hélène aimait le plus »… Hélène, déchirée entre deux hommes jaloux l’un de l’autre, a fini par capituler. Elle est partie et en a épousé un autre, un « commercial », comme un renoncement, une trahison à ses idéaux de jeunesse.

 

Quand la pièce commence, ils se retrouvent quinze ans plus tard pour vendre la maison achetée en commun. Entretemps elle a pris de la valeur. Mais le réel désir, le plus puissant, n’est sans doute pas la vente de la maison et le partage des biens matériels. La vente de la maison est un prétexte. Le vrai désir, le fantasme, reste celui d’évaluer l’amour, les relations passées, de les quantifier. Et ce désir est irréalisable. Parce que l’amour, la relation amoureuse, affective, est indivisible. Cela résiste et crée une éternelle frustration. De même l’oubli est impossible. On peut se débarrasser d’un objet, pas d’un souvenir, pas d’un amour passé.

 


 

JOURNAL 1977-1990
 

Jean-Luc Lagarce - (extrait)

 


SAMEDI 7 MARS 1987

Paris. Les Halles. 13 heures environ.

 

Difficultés d’argent angoissantes.

Difficultés de distribution (on ne s’en sort pas).

Difficultés affectives-sensuelles, etc. Absence de passion amoureuse.

Et pourtant :

Dynamisme, vraiment, vraiment et cela mérite d’être signalé.

Après-midi d’hier : travail paisible sur Derniers remords avant l’oubli. Reprendre les choses, ne pas avoir peur, couper mille et mille choses, être clair et cesser de se prendre pour Byron.

Et encore (hier après-midi donc) oublier des tas de problèmes (argent…) et laisser reposer Dommage qu’elle soit une putain de Ford (ne pas être fébrile). Travailler, vraiment.

 

Si j’arrive à refaire Derniers remords…, vraiment le rendre clair, les rapports entre les gens, dire la vérité et renoncer à l’ellipse, ce sera une grande victoire et surtout une étape décisive.

(Puisque, au fond, disons-le, jusqu’à maintenant, cela tient souvent de l’irresponsable depuis Madame Knipper sans que je sois parfaitement conscient du projet, sauf Retour à la citadelle peut-être…)

L’idée de travailler me plaît (j’en avais un peu perdu le goût).

 

 

 

 


 

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