FIGURES DE L’AUTRE


NOTES


POÈTE ÉCORCHÉ, GILLES LAUBERT S’EST TU


FIGURES DE L’AUTRE
 

 

Gilles Laubert, avril 2012

 

Aminata s'inscrit dans une réflexion que je mène sur les questions de l'altérité.

 

En Europe, les récentes votations trahissant une peur généralisée de l'étranger m'ont fortement questionné.

En suisse, les affiches de campagne racontaient une histoire sordide, certes, mais il y avait là une véritable story telling ; celle du mâle étranger violeur. C'est de là qu'est partie l'écriture de la pièce.

 

On dit du post-dramatique qu'il a rompu avec l'idée de narration - de fable - et pourtant, c'était bien une fable que me racontaient ces affiches. Pour inscrire mon écriture dans la modernité, j'ai donc voulu répondre à l'affabulation par une narration.

 

Un homme de 35 ans, que sa mère a protégé jusqu'à l'enfermer dans l'inceste, décide de prendre le large. Il rencontre une jeune femme sénégalaise sans papiers, avec qui il découvre le plaisir, l'autre et la vie.

 

La mère engage un inspecteur pour faire des recherches. Entre la mère et l'inspecteur va se nouer une relation assez mortifère, qui fonctionne sur le mode marchant.

Le personnage de la mère est monomaniaque. Je tente, avec elle, de rendre compréhensible, mais non excusable, l'univocité d'un attachement archaïque à la notion de « mère natale ».

 

Ces aspects narratifs entrainent l’abandon d'un rapport normatif à la langue qui, dans l'écriture, n'est jamais une langue quotidienne. Syntaxe heurtée, langue trouée, fautive, faite de barbarismes, de solécismes, d'idiolectes, d’humour décalé, avec des échappées poétiques, cette écriture tente de rendre compte du brassage des langues.

Sans trop exagérer, on pourrait dire qu'il s'agit là d'un français mondialisé qui s'écrit dans l'espace francophone.

 

Les emprunts au Wolof mettent encore plus en évidence la question de l’étranger.


 

NOTES
 

 

Jacob Berger, mai 2012

 

Un homme que l’on dit simple d’esprit, mais dont l’âme est tout ce qu’il y a de plus complexe.

 

Une mère que l’on croit aimante, mais dont l’amour est une arme de destruction massive.

 

Une fille que l’on appelle putain, mais dont le cœur est insoumis et pur.

 

Un flic qui croit combattre le désordre mais dont la vie est un champ de ruines.

 

Un amour qui explose comme une bombe.

 

Des mots qui sifflent comme des balles.

 

Des paroles qui s’abandonnent comme des caresses.

 

Une pièce courte mais dont la brûlure dure longtemps.

 

Des phrases écrites à l’envers mais qui remettent le monde à l’endroit.

 

Un théâtre à avaler, à cracher, à supplier, à abjurer.

 

Le théâtre des mots.

 

Le théâtre de la chair. Le théâtre des passions.

 

La proximité des corps des acteurs face au public, la fulgurance des paroles scandées en direct, la primauté de la langue qui se fabrique sous nos yeux, comme une prière.

 

J’ai en tête une mise en scène sobre et ardente, graphique et passionnelle, qui donne toute leur place aux mots et aux corps.

 

Paradoxalement, les quatre personnages sont à la recherche de l’amour. Ils se pourchassent, se kidnappent, se menacent, se séduisent, se défendent, se fascinent et se heurtent mutuellement, mais ce qu’ils cherchent vraiment, c’est la consolation.

 

Leur douleur est palpable. Leurs contradictions si puissantes que leur langage en est altéré. Comme dans les rêves, où le réel change d’apparence selon nos émotions.


 

POÈTE ÉCORCHÉ, GILLES LAUBERT S’EST TU
 

Alexandre Demidoff, Le Temps, vendredi 11 mai 2012

 

L’acteur et auteur franco-suisse est décédé à 62 ans. Sa dernière pièce sera jouée la saison prochaine au Poche de Genève

Gilles Laubert, c’était un cri fait poème. Une blessure devenue grandeur. Ses héroïnes étaient Médée (il monte la tragédie d’Euripide au Théâtre de Carouge en 1979) et Antigone. Cet auteur, acteur et metteur en scène franco-suisse était de la famille des résistants: ses tristesses étaient le ferment de ses révoltes, l’écriture montait comme la lave du cratère; elle brûlait. Il est décédé le 8 mai à l’âge de 62 ans.

Le théâtre a été son salut. Enfant, il est violé par un instituteur et devient dyslexique. Il a raconté cette histoire dans L’Abus, monologue qu’il écrit et joue à Genève en 1996. Sa dignité, il la conquiert en jouant Brecht ou Jarry, dans les années 1970 à Carouge, grâce aux metteurs en scène André Steiger et François Rochaix. Il crée sa troupe, la Compagnie de la Michaille qui deviendra le Théâtre du Cri.

 

«Le destin des déclassés»

«Je suis homo et communiste, tous les défauts», lâchait-il parfois. L’un de ses textes s’appelle Sur les bords. Directeur du Théâtre Saint-Gervais, Philippe Macasdar a produit ses spectacles: «C’est l’un de nos grands auteurs, un qui a su dire le destin des déclassés. Sa langue est concrète et subversive, marquée par Pierre Guyotat et Valère Novarina, deux écrivains qui désaxent l’ordre des mots. L’un de ses talents a été de faire parler des personnages féminins, je pense à Elles parlent aux animaux, suite de monologues bouleversants .»

Gilles Laubert se partageait entre Annecy et le Sénégal, sa patrie d’âme. Il y a monté une Antigone mémorable, présentée au Théâtre Saint-Gervais en 2003. La saison prochaine, le cinéaste Jacob Berger montera au Poche de Genève Aminata, sa dernière pièce.


 

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