SIMPLE LOVE STORY


LA PREMIÈRE FOIS QUE J’AI VU FEDERER VERSER UNE LARME…


QUESTIONS À DES CHAMPIONS


SIMPLE LOVE STORY
 

 

Denis Maillefer, mai 2012

 

C’est un projet simple, un projet de la famille des projets autofictionnels, sans texte préalable. Un projet que j’ai envie de faire depuis longtemps. Un projet qui se raconte vite, en quelques phrases, qui a beaucoup d’inconnues et plein de promesses.

 

Deux types, à moitié supporters passionnés, à moitié rêveurs et à 10% sociologues du sport, viennent dire, raconter, mimer, expliquer, pourquoi ils aiment tant Federer. Pourquoi ils se lèvent à pas d’heure pour regarder un 8ème de finale contre le 78ème joueur mondial, pourquoi ils s’envoient des sms multiples pendant les matchs pour commenter de concert ce qu’ils voient ensemble et à distance. Pourquoi ils aiment ce revers si élégant, pourquoi ils sont stupidement à genoux en train de prier pour que ce joueur qui est en train de gagner un million en quelques heures réussisse à débreaker Djokovic. Pourquoi ils ont envie de lui envoyer des lettres de consolation lors des rares défaites, pourquoi l’un de ces deux individus a réussi un jour à regarder un match de Federer sur une télé qui n’avait que le son […]

 

Dans ce projet, deux hommes : Bastien Semenzato et Denis Maillefer. Ce n’est pas vraiment une distribution. C’est un projet qui est né de leurs discussions enflammées, parfois dévastées (après des défaites). Puis l’évidence de monter ce projet ensemble […].

 

La proposition de base est de travailler sur la confession, vraie et/ou fausse. Une manière de faire que je pratique depuis quelques années déjà, et qui ici prendrait une forme particulière : je parle de moi mais en parlant essentiellement d’un autre, que chacun connaît […]

 

Les deux acteurs racontent, rejouent leur propre rôle, citent des articles élogieux. Peut-être que l’un d’eux se déguise furtivement en Roger Federer. Et surtout, ils s’interrogent sur l’idée même de la beauté, parce qu’au fond, c’est de cela qu’il est question, et rien d’autre, c’est pour cela que je regarde, profondément, pour apercevoir le geste pur. Et nous emprunterons à ce propos les réflexions brillantes de Scala (Les Silences de Federer) qui parle magnifiquement bien du présent, du geste, de la possible impossibilité du récit contemporain lié au sport. Il parle de la beauté, de l’amour, et il le fait avec son regard de philosophe, avec des mots simples et une profondeur splendides […].

 

On peut gloser, et nous le ferons, sur le tennis, sur son lien avec la psychologie, avec l’antiquité, avec la définition que l’on a de ses propres capacités. Pourtant, ce n’est pas le principal. Ce que nous cherchons à dire, maladroitement, comiquement (j’espère), c’est : pourquoi cet amour ? Et, également : que fait-on de l’amour ? Comment est-on transformé par cet amour, et par l’amour en général ?

 

Et enfin : que fait-on de cette joie, aussi absurde et violente, procurée par le jeu (et, ne le cachons pas, la victoire) de Roger Federer ? J’aime regarder le tennis parce que c’est une activité qui se pratique au présent. Et absolument au présent. Si Roger Federer se met à penser au point d’après, il est perdu […]. Le joueur de tennis, et Roger Federer plus que tous les autres, n’a pas d’autre projet que l’instant, que le millième de seconde de ce revers, si semblable au millions de revers joués dans sa vie et pourtant unique, totalement nouveau et réinventé.

 

Ce sera un spectacle sur l’amour, le moment présent, la beauté du geste, et l’absurdité de se projeter sur un inconnu célébrissime qui tient une raquette dans la main.


 

LA PREMIÈRE FOIS QUE J’AI VU FEDERER VERSER UNE LARME…
 

 

Bastien Semenzato, mai 2012

 

La première fois que j’ai vu Federer verser une larme c'étais lors d’une défaite en coupe Davis face à la Belgique. On devait avoir moins de 20 ans ; je me destinais à une formation de journaliste sportif parce que, depuis tout petit, je pleure devant le sport.

 

Federer a ensuite pleuré lors de sa première victoire à Wimbledon en tombant à genoux, deux mois avant qu’une coupe budgétaire et un imprévu ne me fassent découvrir le théâtre. L’année suivante, j’assistai à son second sacre sur gazon tout en attendant les résultat du concours d’entrée à la Manufacture ; école où j’ai rencontré Denis Maillefer, qui d’un hochement de tête complice me permettait d’aller vérifier le score en pleine répétition.

 

Ensuite les nombreuses finales de Federer m’ont, par exemple, pourri la seule journée ensoleillée de mes vacances en Bretagne, ou m’ont permis de supporter l'anxiété de la naissance imminente de ma fille.

 

Federer peut égayer ou plonger dans la grisaille toute la semaine à venir.

 

Quand je le regarde jouer, quand j’en parle, je ressens les mêmes émotions qui m’avaient poussé vers le journalisme sportif, puis conforté dans mon envie de théâtre.

 

J’ai toujours eu envie de travailler sur mon rapport au sport : les larmes essuyées en cachette devant l’écran tv, ces rêves d’exploit qui accélèrent mon rythme cardiaque, cette ivresse de supporter d’assister à l’écriture de l’histoire, les fourmis dans la jambe que je refuse de bouger avant le gain du premier set - persuadé qu’il perdrait ses moyens sans le soutien de tout mon être.


 

QUESTIONS À DES CHAMPIONS
 

Double entretien à Denis Maillefer et Sébastien Semenzato par Katia Gandolfi, décembre 2012

 

 

Pourquoi le tennis ?

 

D.M. : Parce que Federer.

B.S. : Un vague souvenir d’un double de coupe Davis perdu de peu face aux États-Unis, et puis, ensuite, il est arrivé…

 

 

Pourquoi Federer ?

 

D.M. : Parce que la grâce.

B.S. : Je ne comprends pas la question…

 

 

3 adjectifs qui définissent au mieux son jeu :

 

D.M. : Limpide, aérien, solaire.

B.S. : La rapidité de ses petits pas. L’élégance de rester vertical (quand d’autres s’arc-boutent sur leurs raquettes). La beauté qui se dégage de la pureté de ses coups.

 

 

La première larme ?

 

D.M. : Roland Garros 2009.

B.S. : Les siennes après une défaite en coupe Davis face à un belge moins doué que lui. Les miennes en demi finale puis en finale de son premier Wimbledon.

 

 

Victoire la plus mémorable ?

 

D.M. : Nadal, Masters 2011, match de poule.

B.S. : La demi de Roland Garros 2011 face à Djokovic parce que c’est certainement le plus beau match jamais joué sur terre battue et surtout pour son petit signe du doigt après la balle de match.

 

 

Défaite la plus déchirante  ?

 

D.M. : Nadal, Roland Garros 2011, finale.

B.S. : Je ne vois vraiment pas du tout de quoi vous voulez parler.

 

Revers ou coup droit ?

 

D.M. : Revers.

B.S. : Revers à une main.

 

Votre discussion la plus enflammée ?

 

D.M. : À propos d’une contestation de Federer sur un recours au challenge (système vidéo de vérification si la balle est bonne ou non) par Del Potro en finale de l’US Open 2009.

B.S. : Par sms.

 

Le « match point » le plus inattendu ?

 

D.M. : Le point qui a donné une balle de match à Federer en demi-finale de l’US Open 2009 face à Djokovic (passing gagnant entre les jambes).

B.S. : Celui qu’il a mis dans le filet en tentant une amortie en finale de l’Open d’Australie face à Murray… je travaillais, je m’étais enfui jusqu’au Macdonald d’à côté pour regarder le tie break final… j’ai cru que c’était bon, plié, lui aussi l’a cru…

 

Son adversaire le plus farouche ?

 

D.M. : Nadal, et aussi le très détesté Berdych.

B.S. : Les journalistes de l’équipe, de Eurosport.fr, les statisticiens.

 

La finale à ne pas manquer ?

 

D.M. : Dans le passé Wimbledon 2003, dans le futur Melbourne 2013.

B.S. : Le master 2011, il jouait 10 cm au-dessus du sol. Il était vif, rapide, partout. Il a tout fait ce jour là, tous les coups du tennis qui existent et tous les autres aussi…

 

Vous comme supporter ?

 

D.M. : Insupportable, débridé, hurleur.

B.S. : Moi supporter ? non pas temps que ç… vous lui avez envoyé une invite pour le spectacle !?

 

Pourquoi cet amour ?

 

D.M. : Peut-on expliquer  l’amour ? Pour la douceur de son jeu.

B.S. : Parce que malgré tout, tout ce qu’il y a autour, tout ce qu’il a…

Malgré tout c’est juste un type qui joue au jeu qu’il aime, du mieux qu’il peut…


Le moment de grâce ?

 

D.M. : La volée super amortie de revers sur la balle de 2ème set face à Murray en finale du dernier Wimbledon.

B.S. : Parfois, pas toujours, mais souvent quand même… il transforme des gestes en quelque chose de… de beau et d’y assister, même depuis derrière un écran, me fait du bien, me rend content.


 

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