JEAN-ALEXANDRE BLANCHET, CE « GROS CON » EN MARGE DES HUMORISTES ROMANDS


LA VIE EPIQUE D’UN GRAND HOMME D’UNE GRANDE EPOQUE


JAURÈS LE JUSTE


JAURÈS, L'INCORRUPTIBLE À ABATTRE


ZOOM SUR « L’INCONNU LE PLUS CÉLÈBRE DE FRANCE »


« JAURÈS A ÉBRANLÉ MES CERTITUDES »


POURQUOI ONT-ILS TUE JAURÈS ?


POURQUOI ALLER VOIR JAURÈS ?


POURQUOI ONT-ILS TUÉ JAURÈS ?


SOCIALEMENT AUTRE


POURQUOI ONT-ILS TUÉ JAURÈS?


JEAN-ALEXANDRE BLANCHET, CE « GROS CON » EN MARGE DES HUMORISTES ROMANDS
 

Rodolphe Haener, La Côte, 30 janvier 2013

 

A l’affiche de «Pourquoi ont-ils tué Jaurès», au Poche de Genève, l’acteur revient sur son amour de la comédie.

 

Dans la rue, tout le monde le reconnaît, toutes générations confondues, mais personne ne sait vraiment son nom. «C’est vous le type des Vieux connards?», lui a encore lâché la semaine dernière un jeune dans la rue. «Les Gros cons, oui», a rétorqué Jean-Alexandre Blanchet. Cette série (de courts sketches à succès), où il partage l’affiche avec Laurent Deshusses, l’avait fait connaître du grand public dans les années 1990, grâce à des passages sur la TSR et Canal+. Tout comme, un peu plus tard, la sitcom «Paul et Virginie». Aujourd’hui, l’homme est un acteur brillant, émouvant, dont le capital sympathie n’a jamais fondu. Depuis quelques années, il travaille régulièrement avec l’auteur genevois Dominique Ziegler, et il est actuellement à l’affiche du stupéfiant «Pourquoi ont-ils tué Jaurès?». Rencontre.

 

Jean-Alexandre Blanchet, contrairement à d’autres, on ne vous voit que rarement dans les médias. Un choix?

 

Disons que je n’essaie pas de les approcher, et qu’eux non plus. Avoir ma tête en première page de TV8, me forcer à sourire, être une star locale, ça ne m’intéresse pas...

 

Vous ne semblez pas non plus faire partie du sérail des humoristes romands...

 

Absolument pas. J’en connais quelques-uns. Dont Laurent Nicolet, pour qui j’ai mis en scène le dernier spectacle et pour qui j’ai réalisé le clip «Gen’vois Staïle», qui monte à près de 500 000 vues sur Youtube. Mais le one-man show ne m’intéresse pas non plus. D’abord parce que tout le monde en fait, et aussi parce que, en Suisse, il n’y a pas de place pour la provocation. Le public n’aime pas ça... Et puis, la vraie critique, en humour, est biaisée. C’est souvent une bien-pensance de gauche qui fustige la droite sans grande réflexion. Et les humoristes n’hésitent ensuite pas à poser en photo avec les invités qu’ils ont supposément attaqué durant les émissions... Y’a beaucoup de faux rebelles et de faux subversifs qui sont d’une platitude affolante. Comme dans tous les milieux. Et puis, moi j’aime le théâtre, parce que j’aime jouer. Jouer la comédie avec les autres, et faire rire au théâtre. Je suis un artisan, un acteur qui écrit.

 

Et à l’étranger, y a-t-il un humoriste qui trouve grâce à vos yeux?

 

Oui, il y en a tout de même un que j’aime par-dessus tout, c’est Dieudonné. Il a un talent fou, dans l’écriture comme dans l’interprétation, et c’est un travailleur infatigable... C’est le meilleur, et de loin.

 

Vous vous êtes donc un peu trouvés, avec Dominique Ziegler, qui fait un théâtre politique rempli d’humour...

 

Oui. Il a une vraie vision. Et puis, nous deux, on est très branchés géopolitique. On peut s’engueuler sur des tas de choses (je crois, par exemple, au nationalisme de gauche, lui à l’internationalisme), mais nous avons des points communs qui nous rassemblent. Dont l’anticolonialisme. Et puis, il y va au scalpel dans ses pièces. Il est un peu punk. Il me fait faire des choses qui me stimulent, comme me trancher le sexe à la fin de la pièce «Virtual 21». Là, dans «Pourquoi ont-ils tué Jaurès?», j’incarne notamment l’ancien président français Félix Faure, qui meurt en faisant l’amour. C’est savoureux.

 

Vous êtes l’un de ses acteurs fétiches. Avez-vous votre mot à dire sur les textes?

 

En répétition, nous discutons beaucoup. On peut évidemment exposer notre point de vue. Il écoute. Il ne garde pas toujours tout. Et puis, j’ai aussi pour mission d’incarner son petit diable, de l’alerter quand il sombre dans le politiquement correct. Je lui dis «Attention, attention, c’est mou là...»

[…]

 

Vous dites également penser à reve- nir avec «Les Gros cons»?

 

Oui. On a 12 millions de vues sur Youtube. Ce n’est pas rien. Et ça marche encore mieux aujourd’hui qu’avant. C’est transgénérationnel. C’est presque devenu culte. Il faut encore qu’on en parle avec Laurent Deshusses, mais je pense qu’on va faire cela bientôt. 􏰀

 

«POURQUOI ONT-ILS TUÉ JAURÈS?»

 

Si Jean-Alexandre Blanchet excelle dans la dernière pièce du Genevois Dominique Ziegler, il n’est pas le seul. Frédéric Polier (qui incarne un Jaurès prodigieux dans l’exercice de la politique, mais pataud dans les affaires sentimentales), Caroline Cons, Céline Nidegger, Olivier Lafrance et Julien Tsongas multiplient les rôles, pour retracer l’histoire d’un homme politique au par- cours idéologique changeant. Pendant presque deux heures trente, les tableaux s’enchaînent, en commençant par la scène de l’assassinat du socialiste pacifiste par Raoul Villain, à la veille de la Première Guerre mondiale. Alors, on entre dans l’histoire personnelle et publique de Jean Jaurès, dans un rythme soutenu, avec un humour perspicace et toujours présent. On ne s’y ennuie pas une seule seconde.


 

LA VIE EPIQUE D’UN GRAND HOMME D’UNE GRANDE EPOQUE
 

Philippe Villard, L’Express- L’Impartial, 17 janvier 2013

 

Pour sa nouvelle pièce, Dominique Ziegler, toujours aussi engagé, s’est emparé de la noble figure de Jean Jaurès.

 

Jaurès bien sûr, mais aussi Charles Péguy, Léon Blum, Casimir Périer, Félix Faure ou Jules Ferry... Côté personnages, la distribution prend des allures du plan de n’importe quelle ville française. Côté propos, on revisite les tréteaux et les coulisses de la IIIe République dans une leçon d’histoire fascinante, car sa grande force, c’est d’être toujours d’actualité.

 

Comme hier Brel, Dominique Ziegler se demande aussi «Pourquoi ont-ils tué Jaurès?». Il s’intéresse à toutes les dimensions de cet homme, qu’il nous rend ainsi dans sa complexité. Ce corps à corps avec ce Jaurès sanguin et gourmand, élu et tribun, prof et journaliste qui fonda «L’Humanité», pêche peut-être par le souci d’exhaustivité dont fait preuve un auteur toujours aussi engagé, mais que l’on a connu parfois moins respectueux et plus expéditif dans le propos.

Cependant, dans cette pièce, Dominique Ziegler ne rend pas hommage à Jaurès, il le vivifie en faisant réfléchir plutôt que rire.

 

Au-delà de l’éloquence du lettré qu’il fut, formaté par les instituteurs – ces hussards noirs de la République –, il reste la substantifique moelle du discours d’un homme sensible, philosophe et amoureux du genre humain. Pacifiste, épris de justice sociale, Jaurès sut aussi être ce pragmatique qui forgea le socialisme politique au creuset des mines de Carmaux comme aux Chambres. Un socialisme pour qui «prolétariat» et «ouvriers» n’étaient pas des gros mots.

 

Ce Jaurès épique est restitué dans son époque grâce à une mise en scène un rien «feuilletonesque »: Jaurès bon élève, Jaurès

professeur, Jaurès républicain, Jaurès socialiste, Jaurès se marie, Jaurès se bat en duel, Jaurès est assassiné...

 

Voilà un homme

Le ton rend également compte de la virulence des discours et des intransigeances idéologiques d’une époque où un verbe aiguisé était une arme non émoussée par le «politiquement correct». Le ton général et les événements abordés révèlent encore une France traversée de passions et d’émotions, toujours prête à s’exalter et à s’emporter.

 

Et si cette tranche d’histoire est servie assez chaude, c’est aussi grâce à la performance d’une bande d’acteurs parfois proches de Dominique Ziegler.

Entre coups de feu et portes qui claquent, ils se griment, se travestissent, se démultiplient, passent de la scène à la salle.

Ainsi, ils papillonnent avec brio autour d’un Jaurès charismatique, incarné à la fois en puissance et en sensualité par Frédéric Polier. La densité de sa présence et les nuances de son jeu font coller son Jaurès au superbe portrait qu’en avait tracé Trotsky en 1915: «Il suffisait d’entendre la voix tonnante de Jaurès et de voir son large visage éclairé d’un reflet intérieur, son nez impérieux, son cou de taureau inaccessible au joug pour se dire: voilà un homme.»


 

JAURÈS LE JUSTE
 

Jean-Louis Kuffer, ancien rédacteur culture de 24h, 20 janvier 2013

 

À voir sans faute ces jours au Poche de Genève: la réalisation, en crescendo très impressionnant, de la dernière pièce de Dominique Ziegler: Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

 

Le nom de Jean Jaurès, figure historique du socialisme français, est certes illustre, honoré par d'innombrables rues et autres places des villes de France, entre autres hommages au Panthéon, sans que le détail de sa trajectoire personnelle et de ses combats soient toujours connus. Son talent d'orateur reste mythique mais sont-ils nombreux ceux qui savent "pourquoi ils ont tué Jaurès ?", pour reprendre le titre d'une chanson de Jacques Brel ?

 

Le premier mérite de la nouvelle pièce de Dominique Ziegler, sollicité à très bon escient par Françoise Courvoisier, patronne du Poche, après un "trip" théâtral consacré au citoyen Rousseau, est de reconstituer ledit parcours existentiel de Jaurès en brossant un portrait contrasté, plein d'humanité, sur fond de fresque sociale à la fois simplifiée et cohérente, où l'on apprend des tas de choses - notamment sur le climat idéologique et intellectuel marquant la montée des nationalismes.  

 

Amorcée par la scène brutale, à la veille de la Grande Guerre, de l'assassinat de Jaurès commis par l'obscur Villain, dont le portrait de raté est croqué en quelques répliques, cette chronique kaléidoscopique, qui emprunte son imagerie et sa tonalité aux feuilletons populaires du début du siècle, nous ramène ensuite au bercail provincial où tout a commencé.

 

Jean Jaurès, fils aîné de gens plutôt modestes, accomplit une très solide formation philosophique et littéraire, à l'Ecole normale supérieure, avant d'entrer en politique. Damant le pion à un certain Bergson au concours d'entrée, il revient en province au titre d'agrégé de lettres qui le conduit naturellement au professorat, parallèlement à une activité de journaliste. C'est que le jeune homme, chrétien de sentiment et tôt éveillé à la sensibilité sociale par le spectacle des inégalité, éprouve un besoin de s'exprimer accordé à son don verbal naturel. D'abord modéré dans ses options politiques, en bon républicain se défiant déjà de la morgue aristocratique ou bourgeoise, il décroche un premier mandat de député à l'Assemblée nationale en 1885, non renouvelé en 1889, et commence une carrière d'éditorialiste dans La Dépêche de Toulouse en 1887, parallèlement à un enseignement universitaire à Toulouse où il rédige en outre sa thèse intitulée De la réalité du monde sensible. Evoluant progressivement vers les idées socialistes, le jeune Jaurès va radicaliser ses positions lors de la grande grève des mineurs de Carmaux, en 1892, qui lui révèle la réalité brutale de la lutte des classes et le retrouve au côté de Clémenceau, contre le pouvoir central de Sadi Carnot qui envoie ses troupes. La suite de sa trajectoire est plus connue, marquée de façon aussi brutale par l'Affaire Dreyfus dans laquelle il prend parti contre l'Armée, d'abord pour s'étonner du fait que le "traître" ne soit pas condamné à mort; ensuite, après avoir découvert la vérité sous l'influence du fameux J'accuse de Zola, pour défendre le capitaine juif et combattre, plus généralement, l'injustice, l'antisémitisme  et le bellicisme. Cette position lui vaut un déchaînement de haine hallucinant, marqué par l'appel à son exécution par des hommes de lettres aussi différents que Charles Péguy (qui lui a tourné le dos sous la poussée de fièvre d'un nationalisme ardent), Maurice Barrès l'esthète extrémiste, Léon Daudet le fulminant anar de droite ou Paul Déroulède le grotesque chantre va-t-en guerre, notamment.

 

De tous ces éléments historico-biographiques, Dominique Ziegler a dégagé une sorte de story-board de bande dessinée scénique qui rappelle les montages du théâtre épique selon Brecht. Le début de la représentation rappelle un peu les exposés didactiques du Théâtre Populaire Romand, dans les années 60-80, mais l'écriture de Ziegler, modulée par une réflexion moins manichéenne que dans ses premières pièces, fonde un dialogue à la fois direct (genre bois gravés polémiques de l'époque) et nuancé, plein de vie et de contrastes - proprement théâtral en pleine pâte -, et développe un magnifique portrait du protagoniste de plus en plus attachant au fur et à mesure qu'il s'affirme contre l'inacceptable sous toutes ses formes: contre les pontes du pouvoir capitaliste et les opportunistes de son camp des gauches, contre le racisme et le cléricalisme obscurantiste aussi - contre la guerre que tous croient fatale.

De cette évocation théâtrale se dégage finalement le portrait d'un juste, à la fois indomptable et touchant, merveilleusement rendu par le comédien Frédéric Polier qui, physiquement, lui ressemble d'ailleurs très fort. Avec le même brio, les cinq autres comédiens (Caroline Cons, Céline Nidegger, Jean-Alexandre Blanchet, Olivier Lafrance et Julien Tsongas) assument une trentaine de rôles dont les traits joyeusement caricaturaux s'accordent parfaitement à leurs "modèles" historiques.

 

Dans le cadre restreint du Poche, avec un dispositif scénographique (Yann Joly) efficace et les effets d'enregistrements de la bande-son (Graham Broomfield) suggérant les places bondées et autres manifs monstres, sans oublier de délicats interludes musicaux, Dominique Ziegler et son équipe signent un travail passionnant par son contenu, alternativement drôle et tragique, et qui fait très heureusement pièce à toute une production contemporaine flatteuse ne jouant plus que sur des formes vides.


 

JAURÈS, L'INCORRUPTIBLE À ABATTRE
 

Philippe Le Bé, L’Hebdo, 17 janvier 2013

 

 

«Pourquoi ont-ils tué Jaurès?» Dans sa nouvelle pièce, Dominique Ziegler nous raconte pourquoi il ne pouvait en être autrement.

 

PASSÉ PRÉSENT Dans les locaux du journal L’Humanité qu’il a fondé, Jean Jaurès converse avec Léon Blum. «Le colonialisme tous azimuts, lui déclare-t-il, est le ferment d’une guerre d’envergure mondiale. Et si cette guerre éclate un jour, Sedan et Austerlitz paraîtront des promenades de santé.» Aux oubliettes son ancienne «conception humaniste» du colonialisme. Jean Jaurès, magistralement interprété par Frédéric Polier, qui le rend aussi puissant que fragile, aussi véhément que tendre, ne verra jamais la boucherie de la Première Guerre mondiale, assassiné le 31 juillet 1914. Mais Dominique Ziegler, auteur et metteur en scène de cette pièce épique et politique, n’en fait pas un martyr de la paix. Juste un homme, avec ses erreurs, ses contradictions. Mais un homme dont l’intégrité morale et l’incorruptibilité sont insupportables aux marionnettes comme aux fanatiques de la Troisième République, que cinq autres comédiens incarnent dans un jeu et un rythme époustouflants. Les adversaires de Jean Jaurès, dont le cheminement de vie privée et publique est décliné en multiples tableaux colorés et sonores, se trouvent également chez ses amis socialistes. Parmi eux, Jules Guesde ne comprend que son camarade se mette à défendre Dreyfus, injustement condamné. «Rien n’est au-dessus de l’individu. C’est l’individu qui est la mesure de toute chose. Voilà le socialisme», clame Jaurès qui, ô comble de l’horreur, soutient la participation des socialistes à un gouvernement bourgeois! Avec par ailleurs Félix Faure et ses prostituées chères à DSK, avec Casimir Perrier et sa droite décomplexée chère à Sarkozy, l’histoire vue par Dominique Ziegler a un léger goût de revenez-y.


 

ZOOM SUR « L’INCONNU LE PLUS CÉLÈBRE DE FRANCE »
 

Katia Berger, Tribune de Genève, Mercredi 16 janvier 2013

 


Après Rousseau, l’auteur et metteur en scène genevois Dominique Ziegler s’attaque à la figure historique de Jaurès.

 

[…] Il faut goûter l’histoire. Française. L’histoire sociale française. Il faut vibrer aux harangues publiques, aux discours d’assemblée, aux lectures d’éditoriaux politiques […] d’un spectacle tout entier dévoué à son sujet.

 

Et quel sujet. Il y a du Balzac, du Rodin, dans la brute énergie du colosse Jaurès. Surtout incarné par notre Gérard Depardieu local, Frédéric Polier – dont on salue au passage l’effort de monter sur scène, alors même qu’il en dirige deux par ailleurs, au Théâtre du Grütli. Le personnage est monumental, à tous points de vue. Et aussi complexe que son époque, laquelle ne manque pas de présenter des parallèles avec la nôtre.

 

L’affaire commence avec l’assassinat de Jean Jaurès, à l’aube de la grande guerre. Succède à ce prologue un long flash-back (2h30 avec entracte) qui retrace la vie et la pensée de cet orateur de légende (1859-1914), ce fils de paysan migraineux, épris de l’idéal républicain, devenu au fil des événements le premier véritable socialiste français. Les multiples activités de cette bête politique se voient détaillées, de l’enseignement de la philosophie à l’exercice du journalisme, des luttes du député aux frustrations de la vie de famille. Jusqu’à boucler la boucle en concluant sur le meurtre initial, du point de vue du tribun cette fois.

 

Le parti pris dramaturgique de cette commande du Théâtre de Poche est réaliste dans les dialogues et costumes, empathique dans le jeu des comédiens. Le spectateur […] a tout le loisir de repérer 46 personnages sous les traits de cinq acteurs et actrices seulement (en plus de Polier), qui passent allègrement d’un âge, d’un sexe ou d’une appartenance sociopolitique à l’autre.

 

Mais il ne faut pas craindre l’indigestion. Car la très louable volonté de creuser l’histoire et d’en éclairer les prolongements contemporains l’emporte haut la main.


 

« JAURÈS A ÉBRANLÉ MES CERTITUDES »
 

Cécile Dalla Torre, Le Courrier, 11 janvier 2013

 

 

Dans «Pourquoi ont-ils tué Jaurès?», au Poche à Genève, Dominique Ziegler lève le voile sur le leader socialiste. Rencontre avec l’auteur et metteur en scène à l’heure des répétitions.

 


Réhabiliter un vrai discours de gauche. Dominique Ziegler s’y emploie au Poche à Genève, qui lui a passé commande sur Jaurès. L’auteur et metteur en scène de Pourquoi ont-ils tué Jaurès? nous livre quelques clés pour saisir la personnalité complexe du leader socialiste, martyr d’une Grande Guerre qu’il n’aura pu éviter, également «penseur et acteur d’une époque contenant le ferment de nos sociétés contemporaines». Décryptage au cœur du théâtre, où se démène une équipe artistique et technique agitant le spectre d’une cinquantaine de personnages historiques.

 

Après le Trip Rousseau, écrit et créé pour le Théâtre Saint-Gervais, vous vous attaquez à Jaurès. Une filiation entre ces deux grandes figures?

 

Tous deux sont philosophes. Avec Rousseau, l’intellect précède le politique et le fait exister. Il ne s’est pas impliqué dans la vie politique de son pays, ce sont ses idées qui ont bouleversé la société. Jaurès, lui, se revendique de son héritage, mais son action était toujours dans le prolongement de sa pensée directe. Ce que traduit la scénographie de Yann Joly avec son petit appartement, où il écrivait ses textes, débouchant sur la tribune depuis laquelle il s’exprimait publiquement.
Jaurès a une série de fulgurances où l’intellectuel rejoint le politique; sa vision de la société est encore actuelle aujourd’hui. A ses yeux, la création de la justice sociale à l’intérieur de chaque nation est la condition sine qua non de la paix globale car la guerre fait partie de l’ADN du capitalisme, pour des raisons évidentes de concurrence cannibale. Un point de vue toujours valable aujourd’hui.

 

Comment avez-vous appréhendé le processus d’écriture?


Instinctivement, Jaurès me semblait plus facile à aborder que Rousseau et sa prose archi-complexe. Mais c’est le contraire qui s’est produit. Une fois les idées phares de Rousseau plus ou moins comprises, la pièce à son sujet s’est avérée relativement facile à écrire, aussi grâce à ses Confessions. Jaurès s’est révélé beaucoup plus compliqué à décrypter car rien sur lui n’était immédiat pour palper le personnage.

 

A quoi tient la difficulté?


C’est le contexte qui diffère. Le contexte rousseauiste est celui d’une monarchie absolue, celle de Louis XV. Tout le monde peut s’y référer, sans besoin de l’expliquer. Les idées de Rousseau dépassent le cadre de cette monarchie. Jaurès, lui, est constamment en réaction par rapport aux bouleversements de la IIIe République, politiques, technologiques, éthiques, religieux. Tout l’enjeu est de raconter ce contexte qui bouge – la pensée de Jaurès étant elle aussi évolutive –, avec un spectacle qui ne parle pas seulement aux militants du PS! Le socialisme de l’époque n’est pas non plus le même qu’aujourd’hui.
La difficulté n’a finalement pas été quoi écrire mais quoi ne pas écrire. J’aurais pu monter une pièce de six heures! Il a fallu faire l’impasse sur beaucoup de points, notamment les attentats anarchistes de l’époque.

 

En quoi Jaurès était-il moderne?


Son époque contient les germes de la société d’aujourd’hui. Tous les problèmes politiques et éthiques actuels ont éclos dans l’avant-guerre: racisme, nationalisme, etc. L’antisémitisme était un phénomène européen très fort qui a atteint son paroxysme en France avec l’Affaire Dreyfus, à la fin du XIXe siècle. Cette vague antisémite extrêmement violente, qui touche tous les secteurs de la société y compris certaines franges de socialistes, nous rappelle des racismes décomplexés d’aujourd’hui comme le racisme antimusulman. On peut tirer beaucoup d’enseignements des conséquences de cette période, alors que je ne le soupçonnais pas à l’origine.

 

Qu’est-ce qui vous impressionne le plus chez lui?


Sa force de travail et la multiplicité des médiums utilisés pour atteindre son idéal: éditoriaux journalistiques, thèses philosophiques, discours sur les places publiques, activité parlementaire, organisation de grèves, tribune à l’Internationale socialiste. Il procédait à des analyses acérées pour remettre en cause le capitalisme. Son idée était de redonner de l’espoir aux gens. Jusqu’au dernier jour, il voulait éviter la guerre.
Il avait de plus des visions stratégiques et avait tout prédit. Y compris l’intoxication du peuple par la presse, appelant à son meurtre. La pièce démarre par ces appels au meurtre, sans faux suspens! Mais surtout, c’était un homme intègre.

 

Il était aussi pétri de contradictions...


Jaurès votait pour la laïcité tout en étant croyant! Plus qu’un paradoxe, on pourrait parler de dialectique. Il se faisait traiter de bourgeois par les gauchistes et de gauchiste par les bourgeois. Pour lui, une alliance au cas par cas avec les éléments «modérés» de la bourgeoisie était possible s’il y avait quelque chose à gagner pour le peuple. C’est d’ailleurs dans ce camp qu’il commence sa carrière, tombant dans le piège d’une bourgeoisie affairiste se revendiquant de la révolution française; elle relaye en fait la droite monarchiste, mais sous couvert de modernisme. Jaurès comprendra vite leur trahison, mais restera attaché aux valeurs démocratiques défendues. C’est la grande pierre d’achoppement avec Jules Guesde, leader socialiste plus à gauche pour qui la République est un leurre complet avec lequel il faut rompre. Jaurès était antimilitariste mais pensait qu’il faudrait bien se défendre si le pire se produisait. D’où sa réflexion sur un système d’armée plus populaire.
Sur beaucoup de points, il était en constante évolution. Il a d’abord soutenu le colonialisme, et il était au départ antidreyfusard. Nous n’avons pas édulcoré ces contradictions.

 

Frédéric Polier semble être le choix tout trouvé pour l’incarner...


Le choix de l’acteur est déterminant. Jaurès s’impose dans les esprits en statue du commandeur un peu austère, avec une grande barbe: son martyr a posteriori lui a joué un tour. D’après mes lectures, il était inélégant, venait d’un milieu paysan et avait un appétit de vie formidable. Bien que militant, écrivain, grand orateur, une chose qu’il n’a pas développée, c’est la bienséance en matière vestimentaire! On est tombé sur Frédéric Polier qui possède ce côté rabelaisien, généreux, proche de la terre. Il s’investit complètement dans son personnage, prend tous les jours un nouveau bouquin. La recherche intellectuelle sur Jaurès se diffuse parmi toute l’équipe. On essaie de rendre Jaurès vivant, loin de l’image d’Epinal, en respectant le code esthétique de l’époque. La rythmique est relativement soutenue avec un côté feuilletonnesque jusqu’en 1914.

 

Finalement, vous réhabilitez Jaurès par le théâtre?


Oui. Pourtant, sa première vision franchouillarde du colonialisme ou sa stratégie d’intégration des gouvernements bourgeois me rendaient le personnage a priori antipathique. Jaurès a ébranlé mes propres certitudes. Je sors grandi de l’élaboration de cette pièce, dont les thématiques sont très instructives: qu’est-ce qu’être militant, être tolérant envers ceux qui pensent différemment, etc. Les plus extrémistes de ses détracteurs sont d’ailleurs les premiers après sa mort à avoir rejoint le gouvernement bourgeois!
Depuis, sa figure a été récupérée par tout le monde: le FN, avec ce slogan sorti hors contexte «pour celui qui n’est rien, la patrie est tout», Sarkozy, etc. Idem pour la gauche. Tout n’est qu’histoire d’apparences, finalement. C’est donc une bonne chose que le théâtre s’en empare, rendant ainsi justice à un homme et rétablissant la vérité d’une pensée.

 


 

POURQUOI ONT-ILS TUE JAURÈS ?
 

Jean-Blaise Besençon, L’Illustré, 9 janvier 2013

 

« Jaurès a été tué pour la justesse de ses analyses et le danger qu’elles représentaient pour la classe dominante », explique Dominique Ziegler, qui a écrit et qui met en scène cette évocation du socialiste français, incorruptible et pacifiste, assassiné le 31 juillet 1914 à Paris, trois jours avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Le comédien Frédéric Polier prêtera sa haute stature à « l’inconnu le plus célèbre de France » avec, entres autres, autour de lui, Julien Tsongas, Céline Nidegger et Olivier Lafrance pour faire revivre l’homme, ses discours et ses combats pour la justice sociale.


 

POURQUOI ALLER VOIR JAURÈS ?
 

Valeria Mazzucchi, Nouvelles de la Vieille -Ville, janvier 2013

 

Au Théâtre Le Poche, du 14 janvier au 3 février, Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? , une pièce de théâtre sur l’emblématique figure du politicien français Jean Jaurès, mort assassiné un jour avant le début de la Première Guerre mondiale.

 

Jaurès : une personnalité unique

La pièce retrace la vie de Jean Jaurès, l’une des figures majeures du socialisme français à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. Chrétien, pacifiste, théoricien militant, et orateur brillant, cet homme politique prit la défense des plus faibles, des ouvriers des mines jusqu’au capitaine Dreyfus. Issu de la petite bourgeoisie, Jaurès est connu pour son grand sens de l’intégrité qui l’a poussé à s’éloigner des files démocrates de la bourgeoisie « éclairée » ayant oublié le champ social dans leurs discours, pour rejoindre le parti socialiste.

La pièce se force aussi à montrer le côté plus intime et privé de la vie de Jaurès.

On y découvre un homme maladroit, désordonné, négligé et frustré dans sa vie sentimentale : une image plutôt en contradiction par rapport à celle de l’homme public charismatique que l’on connaît.

 

Une pièce historique, mais pour tous

Dominique Ziegler a consacré deux ans à la recherche des sources historiques et documentaires sur lesquelles baser sa pièce. S’il est possible de la définir comme historique, l’approche de la pièce se veut bien différente : la mise en scène, simple et accessible, permet sans prérequis historiques de découvrir l’univers de Jean Jaurès, dans une ambiance dynamique et rythmée, avec une multitude de personnages.

 

Toujours d’actualité

S’il est vrai que c’est en connaissant le passé que l’on peut comprendre le présent, l’histoire de Jaurès en est la preuve parfaite. Ses engagements et ses idées restent d’une actualité remarquable : en effet, tant sa lutte contre le racisme et l’antisémitisme que son intégrité dans la poursuite de ses idéaux restent un exemple pour la société d’aujourd’hui. Jaurès avait un quelque chose de magnifique que son époque n’était pas prête à comprendre… le sommes-nous aujourd’hui ?

 


 

POURQUOI ONT-ILS TUÉ JAURÈS ?
 

Rosine Schautz, Scènes Magazine, décembre 2012-janvier 2013

 

 

 

La nouvelle création de Dominique Ziegler tourne autour de Jean Jaurès, homme politique emblématique de la IIIe République, bien connu pour ses talents oratoires et ses engagements en faveur de la paix, assassiné à Paris à la veille de la Première Guerre mondiale. Philosophe de formation, il entre en politique à l’âge de 25 ans. Ses travaux intellectuels, son expérience d'élu local et sa découverte des milieux ouvriers l'orienteront vers le socialisme. Entretien.

 

 

 

Pourquoi Jaurès ?


Dominique Ziegler : Je dois à l’honnêteté de dire qu’il s’agissait d’une commande de Françoise Courvoisier, qui comme moi, a baigné dans une famille socialiste, son père étant un jaurèsien convaincu. Nous avions donc ensemble cette sorte de lien affectif pour le personnage Jaurès. J’ai été tout de suite happé par l’homme poli- tique, et surtout par certaines problématiques qu’il commentait ou dénonçait, qui me semblaient correspondre à des problématiques très contemporaines dans un contexte somme toute assez semblable, un contexte de crise. Les thématiques traitées par Jaurès dans ses discours, ses articles sur le nationalisme, la condition ouvrière, le socialisme, le racisme – principalement l’anti- sémitisme - ainsi que ses engagements politiques et ses convictions ancrées à gauche m’intéressaient à deux niveaux. En tant que citoyen du monde, mais également comme écrivain dramatique. Comment rédiger une fresque historique pour le théâtre ?

 

Précisément, comment avez-vous travaillé et comment est construite cette nouvelle pièce ?


J’ai d’abord lu ses discours, ses écrits journalistiques (il a fondé en 1904 le journal l’Humanité), j’ai essayé de comprendre ses combats, mais aussi d’entrer dans sa tête. Sa vie privée n’était pas très excitante ; son mariage arrangé avec une bourgeoise qui ne l’aimait pas vraiment semble davantage correspondre aux traditions des notables de droite que des grands révolutionnaires ! Il fallait toutefois aborder cette absence de passion, même si, d’un point de vue dramaturgique, elle n’offre pas les fris- sons érotiques souvent payants pour capter l’attention du spectateur ! Mais évidemment je me suis avant tout concentré sur sa vie publique, politique. La vie de Jaurès est celle d’un intellectuel en politique, qui paie de sa personne. J’ai tenté d’imaginer des dialogues qui feraient entendre le contexte historique, social de cette IIIe République et la manière dont Jaurès, par la force de sa pensée, essaye d’en modifier le cours. J’ai également repris certains débats de l’Assemblée.

J’aime que mon travail ait une dimension à la fois ludique et didactique. Le « ludisme » en l’occurrence consistait à trouver les moments de tensions, à dégager les problématiques qui permettent une théâtralité. J’aime aussi que le spectateur qui n’est pas renseigné ressorte avec une connaissance plus fine, plus précise sur tel ou tel sujet. Mais la matière à traiter était si vaste qu’à la fin, je me suis retrouvé avec une pièce d’environ six heures ! Impossible évidemment de la garder comme cela. Je me suis demandé ce qu’il ne fallait pas mettre, j’ai élagué, et j’ai divisé le spectacle en trois phases: la jeunesse, c’est-à-dire les premiers pas de Jaurès dans le socialisme et sa compréhension de la question ouvrière, l’Affaire Dreyfus et la montée d’un antisémitisme européen assumé voire proclamé, et enfin les prémices de cette Première Guerre mondiale qu’il tentera d’empêcher de toutes ses forces. J’ai essayé d’humaniser le personnage, sans toutefois en faire un homme parfait. D’ailleurs, à certaines étapes de sa vie, j’aurais bien voulu que certaines de ses idées aient été différentes.

 

Par exemple ?


Quand il propose une transformation de l’armée, dans son livre L’armée nouvelle (1910), en appelant de ses voeux des réformes qui donnent au peuple, plutôt qu’aux habituels généraux, le contrôle du système militaire, je n’adhère pas. Je suis foncièrement contre l’armée, sous toutes ses formes.

 

Qu’en est-il du pacifisme de Jaurès ? D’ailleurs est-il vraiment pacifiste ?


Pas dans le sens où on l’entend généralement. Il était contre l’utilisation du prolétariat comme chair à canon, plutôt que viscéralement pacifiste. Pour lui les nationalismes qui mènent à la guerre sont des sortes d’arnaques sociales, des créneaux grossiers pour que les nantis exploitent les précaires. Son pacifisme est un corollaire de ses idées socialistes. Il n’est pas antimilitariste ou pacifiste comme ont pu l’être d’autres figures à la même époque, à l’instar de Gustave Hervé qui rejetait radicalement l’idée même d’armée (et la notion de patrie dans la foulée). Cela étant il reste un homme de paix, un homme de dialogue : germanophile, il n’aura de cesse de discuter avec les Allemands, et de prendre position contre l’esprit de revanche très présent dans la société française de son temps.

 

Aujourd’hui qu’est-ce qu’être jaurèsien ?


C’est être obsédé par la justice sociale, sachant que cette justice sociale amène la paix entre les hommes et, par ricochet, la paix entre les nations.

 

Mettre en scène cette fresque dans le (petit) théâtre de Poche, une gageure ?


Oui et non. Je me suis entouré de comédiens polyvalents et d’une formidable équipe technique et ensemble nous avons conçu un spectacle que j’espère à la fois profond et rythmé pour que les spectateurs y trouvent leur compte !

 

 

 


 

SOCIALEMENT AUTRE
 

Jadd Hilal, Go Out, décembre 2012- janvier 2013

 

Juillet 1914. Alors que les étincelles de la guerre s’embrasent, une figure socialiste et pacifiste en subit les premières déflagrations à Paris: Jean Jaurès. Bien que son assassin soit identifié, le metteur en scène Dominique Ziegler propose aujourd’hui d’étendre le meurtre. Qui d’autre que Raoul Villain aurait pu s’attaquer à Jaurès, membre influent de la SFIO? C’est à cette enquête fictive qu’invite Pourquoi ont-ils tué Jaurès? Une question posée au pluriel, à dessein, tant le contexte de l’époque s’avère épineux. La représentation se déroulera du 14 janvier au 3 février, au théâtre le Poche, d’ici là, quelques indices.

 

Jean Jaurès fut assassiné par Raoul Villain, pourquoi avoir recours au pluriel dans votre titre?

 

Raoul Villain ne représente que la conséquence d’un phénomène beaucoup plus large. Jaurès s’opposait à l’entrée de la France dans la guerre, il s’attaquait aussi au gouvernement français et à son désir perpétuel de vengeance contre l’Allemagne. En plus de sa lutte politique, Jaurès appelait également à une contestation sociale en refusant le clivage entre classes dominantes et classes dominées. A l’époque, toutes ces idées fâchaient, elles devinrent même dangereuses pour leur auteur. De nombreux journaux de droite appelaient ainsi au meurtre de Jaurès.

De ce point de vue, Villain n’a aucune importance en tant que tel. S’il n’avait pas tué Jaurès, un autre l’aurait fait à sa place. Il n’est qu’un produit de son époque.

 

Comment rendez-vous honneur à Jean Jaurès sans tomber dans l’éloge du socialisme?

 

On n’épargne pas et on s’intéresse aux contradictions. Avant d’être socialiste, Jaurès appartenait au camp bourgeois et même en étant socialiste, il s’opposait à beaucoup d’idées socialistes. De même, il favorisait le colonialisme avant de s’y opposer farouchement. Jaurès se plaçait en permanence sur des positions évolutives.

 

Tout de même, ne craignez-vous de perdre une partie de votre public avec cette orientation politique?

 

La pièce s’intéresse à la figure de Jaurès, pas seulement à ses idéaux. Pourquoi ont-il tué Jaurès? ne se conçoit pas comme un manifeste, son ambition est historique, elle vise à faire connaître un homme.

 

La plupart de vos œuvres comportent une visée contestatrice, une d’entre elles a même été censurée par la Confédération helvétique. Considérez-vous le théâtre comme un medium de votre engagement politique?

 

Mon travail s’inscrit dans la droite ligne de la tradition théâtrale. A mon sens, l’ambition initiale au théâtre est de proposer un commentaire de société. Dès lors, il y a forcément un côté critique dans la mesure où l’on joue sur la notion de représentation. On démasque en quelque sorte le pouvoir en le représentant masqué sur scène.

Aujourd’hui, cette tradition théâtrale a malheureusement disparu. Le metteur en scène a pris le dessus sur l’auteur et l’esthétique a dépassé l’idéologie.

 

Vous-même, parvenez-vous à garder cet équilibre entre esthétisme et idéologie?

 

Je favorise un thème qui ne correspond parfois pas du tout avec les ambitions de mes contemporains: le théâtre ludique. Le western, les farces et le thriller sont autant de formes qui fonctionnent très bien aussi bien de part le divertissement qu’ils procurent que de leur propension à créer du débat.

 


 

POURQUOI ONT-ILS TUÉ JAURÈS?
 

Marie-Pierre Genecand, Le Temps- Sortir, 20 décembre 2012

 

Comme le chorégraphe Marco Berrettini, mais dans un autre registre, si Dominique Ziegler n'existait pas, il faudrait l'inventer. Car, qu'on apprécie ou non sa manière potache d'envisager les sujets d'actualité (les banques, internet, la publicité) et les figures historiques (Calvin, Rousseau), l'auteur et metteur en scène genevois, fils de son père, Jean, fait toujours preuve d'audace et de singularité. Après une biographie minute de Rousseau qu'il a fort bien troussée, le drôle se lance dans une évocation forcément remuante de Jean Jaurès, «l'inconnu le plus célèbre de France», observait-il lors de la conférence de presse du Poche au printemps dernier. Dominique Ziegler a choisi Frédéric Polier, «un cerveau dans un corps de lutteur», pour évoquer le leader socialiste. Jean-Alexandre Blanchet, Caroline Cons, Olivier Lafrance, Céline Nidegger et Julien Tsongas participent également à cette interrogation «de l'homme et du politicien» assassiné le 31 juillet 1914.


 

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