JAURÈS: NOM CÉLÈBRE, HOMME MÉCONNU


RÉCIT DE VIE ET THÉÂTRE


JEAN JAURÈS


INTERVENTION DU 17 JUILLET 1912


JAURÈS: NOM CÉLÈBRE, HOMME MÉCONNU
 

Entretien avec Dominique Ziegler, réalisé par Katia Gandolfi, novembre 2012

 

Pourquoi as-tu accepté la proposition de Françoise Courvoisier d’écrire une pièce sur le célèbre Jean Jaurès ?

 

Jaurès appartient à l’Histoire. Des places et des rues sont dédiées à ce personnage, les politiciens invoquent son nom communément, se réclamant même de son héritage idéologique, mais, à part qu’il a été le chef de file des socialistes français et qu’il a été assassiné, beaucoup d’éléments sont souvent méconnus du public. Moi-même, je ne savais pas grand-chose. Qui était Jaurès ? Que voulait-il ? J’ai investigué pendant deux ans pour chercher à comprendre ce personnage, ses aspirations, ses contradictions… Je me suis nourri de nombreuses lectures pour l’appréhender sous ses multiples facettes et j’ai découvert un être intègre et complexe qui méritait d’être mieux connu.

Et le hasard fait bien les choses vu qu’on s’approche du centenaire de sa mort !

 

Tu aimes réactualiser des figures historiques, après Rousseau cet été, maintenant Jaurès… en quoi ces deux personnages sont pour toi semblables et en quelque sorte contemporains ?

 

Il existe effectivement un lien fort entre Rousseau et Jaurès dans la mesure où ce sont deux figures qui ont eu un impact très fort sur leurs contemporains et également une grande influence sur les générations postérieures à la leur. Les deux se sont questionnés principalement sur les moyens d’améliorer la société humaine et leur pensée reste plus que jamais d’actualité.

Rousseau est en quelque sorte le précurseur théorique du socialisme. Il s’est interrogé, à travers ses écrits, sur les causes du malheur des hommes et sur les solutions pour y remédier. Sa philosophie a enfanté des courants considérables comme l’ethnologie, l’écologie en passant par la critique des arts, l’éducation, ou à un niveau plus spirituel, le déisme.

On peut dire que Rousseau est un précurseur de la révolution française et Jaurès, pour sa part, se veut le continuateur des idéaux véhiculés par cette révolution. Le lien politique est donc évident.

Jaurès est un des premiers socialistes historiques. Il participe aux premiers faits d’armes d’un socialisme français encore marginal (le socialisme a été théorisé par Marx quelques dizaines d’années plus tôt) et lui donne une autre dimension en l’amenant à devenir une force politique avec laquelle il faut désormais compter. Il intègre à sa conception du socialisme une dimension humaniste, qui puise dans les grands thèmes rousseauistes. Philosophe de formation, Jaurès n’a pas une vision bornée du socialisme ; il la voit comme une force d’émancipation qui libérera l’homme de ses chaînes et fera de lui un être meilleur. L’amour de Jaurès pour l’humanité s’étend à la dimension naturelle, cosmique et spirituelle. En cela il est dans la droite ligne de Rousseau. Jaurès, fils de paysan, est en connexion avec la nature et avec une certaine idée de Dieu. Sa thèse de philosophie traite du « monde sensible », de l’idée que les éléments imperceptibles ou subjectivement pensés par l’homme existent bel et bien dans la nature à l’état latent. On a affaire à un intellectuel en politique, dont la connaissance et l’influence de Rousseau est revendiquée. Jaurès a d’ailleurs donné plusieurs conférences sur la pensée de Jean-Jacques.

 

À l’heure actuelle penses-tu qu’une personnalité politique peut être comparable à Jaurès ? Si non pourquoi ? Est-il caractéristique d’une époque ?

 

Le socialisme d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui de son époque, il s’est vidé de son contenu, est devenu en quelque sorte inoffensif, voire, dans certains cas, complice du capitalisme contre lequel il avait été créé. D’où l’intérêt de réétudier la pensée et l’action de Jaurès qui a fait grandir le socialisme primitif et lui a donné une place déterminante en France et en Europe. Il existe sûrement à l’heure actuelle, des militants politiques qui possèdent la même fougue, le même amour de l’humanité, le même besoin viscéral de lutter contre les injustices. Mais ce ne sont certainement pas les cadres des partis, tous englués dans le cynisme de la politique politicienne. Il n’y a aucun dirigeant européen socialiste qui puisse légitimement se réclamer de Jaurès. Pour atténuer ce sombre tableau, je verrais toutefois un lien entre le socialisme de Jaurès et celui de Chavez, sincèrement épris de justice sociale. C’est amusant, car le seul voyage hors du continent européen de Jaurès fût l’Amérique Latine, deux ans avant sa mort.

Mais les particularités de Jaurès, son humanisme, sa vision analytique de la lutte des classes extrêmement acérée et sa totale intégrité font de lui une figure très difficile à égaler.

Jaurès est aussi le produit d’une époque spécifique, la Troisième République, qui est captivante car c’est à ce moment que se forment, comme dans une soupe primitive, tous les courants idéologiques modernes, comme le libéralisme, le nationalisme, le socialisme, la laïcité. Jaurès va être confronté à ces courants, en porter certains, en combattre d’autres, donner des interprétations personnelles sur  des notions importantes comme la définition de la patrie dont il a une vision très  particulière.

 

Dans ta pièce tu te penches non seulement sur l’image politique, mais aussi sur celle plus intime, plus personnelle et méconnue du public, voulais-tu mettre en avant quelques aspects ignorés de Jaurès et fondamentaux pour son devenir en tant qu’homme politique?

 

Je voulais m’extraire de la vision purement iconographique qu’on a souvent de Jaurès. Je me suis intéressé à l’homme et à son parcours. Ses origines paysannes, sa foi religieuse, ses amours déçues sont autant de faits qui ont pu contribuer au façonnage de l’homme et de sa vie politique. L’idée est aussi que les spectateurs s’attachent au personnage, au-delà de l’homme politique et, pour cela, il fallait l’humaniser.

Dans ce sens, le choix de l’acteur qui incarne Jaurès a été déterminant car Frédéric Polier partage plusieurs points communs avec Jean Jaurès, tant au niveau physique que psychique, comme sa figure imposante, sa bonhomie, sa douceur ou encore sa fougue.

 

Penses-tu que ses croyances chrétiennes sont en contradiction avec le socialisme ?

 

Les croyances de Jaurès n’étaient pas dogmatiques, mais philosophiques. Il était animé par des valeurs chrétiennes telles que la générosité, la fraternité et la solidarité qui sont des notions tout à fait compatibles avec le communisme théorique. Mais les catholiques étant considérés par les socialistes comme les ennemis du peuple, sa foi lui valut de nombreuses animosités au sein de la mouvance progressiste. On peut dire de Jaurès qu’il a une dimension « chrétien de gauche » (le terme n’existait pas à l’époque), mais son christianisme n’était de loin pas celui de l’Eglise. Bien au contraire, il a lutté contre le clergé aux côtés des Radicaux et a contribué à la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

 

Le titre de son journal « l’Humanité » révèle bien ses priorités, le souci désintéressé du peuple, la libération et l’élévation de l’individu, malgré cela il a eu de nombreux ennemis. Comment expliques-tu le fait que Jaurès ait été haï tant par la droite que par une partie de la gauche de l’époque ?

 

La droite s’est sentie trahie par Jaurès car avant d’adhérer au socialisme il avait fait partie du camp républicain, à savoir la bourgeoisie moderne qui se réclamait des Lumières et des valeurs de la révolution française, tout en foulant au pied ces mêmes valeurs. Après s’être impliqué corps et âme dans le combat politique au côté des Républicains, il a dénoncé leur imposture avec une acuité et une violence qui ont laissé des traces. Son intelligence, son charisme et sa popularité ont fait de lui l’homme le plus détesté par la droite. Quant à son combat constant pour le dialogue avec le peuple allemand, il lui a valu la haine tenace des nationalistes.

Pour leur part, beaucoup de socialistes n’ont pas accepté qu’il passe des alliances stratégiques avec certains bourgeois. En effet, Jaurès était limpide et incorruptible sur ses idées, mais il avait une vision tactique pour son mouvement qui était très complexe. Pour mettre en avant le socialisme il a parfois fait des concessions et des compromis qui ne furent pas toujours compris et acceptés par les socialistes.

 

« Rien n’est au-dessus de l’individu. C’est l’individu qui est la mesure de toute chose. Voilà le socialisme ». Peux-tu commenter cette pensée de Jaurès que tu lui prêtes dans ta pièce.

 

En effet je synthétise cette idée de Jaurès et la confronte avec la vision de son adversaire le plus acharné au sein des socialistes, Jules Guesde, lors d’une discussion autour du cas Dreyfus. L’humain est pour Jaurès, au centre de tout. En cela la vision de Jaurès se heurte à la logique collectiviste du socialisme, selon laquelle le peuple est une entité globale dont l’émancipation prime sur l’individu. Pour Jaurès l’émancipation du peuple a un sens seulement si elle permet le bonheur individuel.

Sa prise de position dans l’affaire Dreyfus, son refus de laisser condamner un innocent, bien qu’appartenant à la caste des militaires, ennemie du peuple, dénote sa volonté de mettre la justice pour chaque être au-dessus de toute autre notion. Pour Jaurès, Dreyfus est le symbole de l’humanité meurtrie et de l’injustice, son cas transcende les classes, les races et les religions, alors que la plupart des socialistes ne voyaient en Dreyfus qu’un ennemi de classe.

Cette affaire marque d’ailleurs une scission sans précédent dans le mouvement socialiste.

 

Jaurès est à la fois homme d'action et de réflexion. Lequel de ces deux traits as-tu voulu mettre en avant?

 

Les deux car ils sont indissociables. Jaurès n’émettait jamais une pensée purement abstraite ; elle s’incarnait toujours dans l’action. En effet ses interventions parlementaires, son activité de militant sur le terrain étaient le prolongement de ses réflexions. La scénographie du spectacle est d’ailleurs centrée sur ce lien entre sphère privée et publique, l’antre personnel de Jaurès se prolongeant jusqu’ à la tribune publique. En écrivant des éditoriaux quotidiens, en créant son propre journal, en organisant des rassemblements ou encore en parlant à la foule, il incarnait la pensée en marche.

Il ne faut pas oublier que Jaurès était surtout un orateur hors pair et que l’art de la parole constituait à cette époque une arme redoutable.

 

Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées au niveau théâtral ?

 

La tâche a été ardue, j’ai dû affronter diverses problématiques.

D’abord il a fallu tenter de comprendre la pensée de Jaurès et sa complexité. Essayer d’abandonner toute idée reçue sur le personnage, ne pas tenter de le faire correspondre à l’image subjective que j’en avais et conforme à mes propres idéaux. J’ai mis du temps à le cerner, car sur beaucoup de sujets, sa pensée est évolutive. Il n’a pas, par exemple, le même point de vue sur la colonisation au début et à la fin de sa carrière. De plus, une fois la pensée à peu près cernée, elle doit encore être réévaluée au gré des circonstances auxquelles Jaurès devait s’adapter, suivant les forces en présence, et qui avaient forcément une incidence sur le cheminement de cette pensée, car encore une fois, la théorie était constamment confrontée à la réalité des faits.

Ensuite il a fallu s’immerger dans l’époque, tâcher de comprendre puis de transposer au théâtre le contexte de cette fameuse Troisième République, aux us et coutumes si particuliers, sans que cela ne soit trop rébarbatif.

Au niveau pratique, il fallait s’interroger sur la manière de restituer des mouvements sociaux, des mouvements de foule, sur une petite scène. Comment raconter tous ces bouleversements, des révoltes ouvrières aux prémices de la Première Guerre mondiale, en passant par les tentatives de coup d’Etat, avec les moyens du théâtre ?

Et puis, à un niveau purement narratif, il y avait un problème de fond : comment rapporter de manière captivante pour le spectateur un parcours de vie dominé par le discours public et par l’écrit. Les longs développements théoriques ne sont en effet ni très théâtraux, ni très ludiques. De plus, sa vie privée et sentimentale a été monotone, fade, sans rebondissements particuliers qui puissent se prêter à des effets scéniques.

J’ai donc décidé de faire des choix drastiques, de supprimer des épisodes historiques fondamentaux et d’essayer de synthétiser sa pensée, sa vie, en me servant d’événements soigneusement choisis que j’ai essayé de rendre les plus intéressants possible d’un point de vue dramaturgique. Le plus difficile pour moi a été de renoncer à donner des informations, sans doute importantes pour une compréhension plus complète du personnage et de sa pensée, mais qui risquaient d’alourdir un récit déjà riche en informations.

Le but de ma pièce est d’intéresser les gens à Jaurès sans toutefois donner toutes les clés. J’ai choisi une forme lointainement inspirée des feuilletons populaires de cette époque, qui ont nourri mon enfance et mon adolescence, comme ceux de Maurice Leblanc, Gaston Leroux ou de Pierre Souvestre qui, curieux hasard, se situent tous dans la Troisième République. On peut dire qu’il s’agit d’une tentative de feuilleton politique populaire à velléité didactique!

 

Alors selon toi pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

 

Plus Jaurès avançait au niveau politique, plus sa clairvoyance sur les mécanismes du capitalisme se développait. Il avait compris que la concurrence effrénée que se livraient les classes dominantes à la tête de leurs pays respectifs conduirait l’Europe vers une guerre d’une dimension et d’une violence encore jamais atteintes. La catastrophe serait inévitable si la classe prolétaire ne parvenait pas à s’unir durablement pour empêcher leurs gouvernements de continuer dans cette logique. Ce faisant, il représentait un double danger pour les castes au pouvoir. Il consolidait une force révolutionnaire capable non seulement de mettre un frein aux manœuvres guerrières, mais aussi de renverser un jour ou l’autre les possédants. Il mettait aussi le doigt sur la gigantesque arnaque que constituait le recours au nationalisme de pacotille, à la xénophobie comme ciment du peuple, voulu par les dirigeants. 

Jaurès a été tué pour la justesse de ses analyses et le danger qu’elles représentaient pour la classe dominante. Voilà pourquoi ses analyses méritent encore qu’on s’y attarde aujourd’hui.

Quant à l’homme, outre son intelligence, il se caractérise, encore une fois, par son incorruptibilité, son intégrité morale reconnue par tous, son attachement viscéral à l’idéal de justice humaine. Le cas est suffisamment rare à travers les siècles pour qu’on s’y intéresse.


 

RÉCIT DE VIE ET THÉÂTRE
 

 

Dominique Ziegler, avril 2012

 

Il n’existe sans doute pas d’inconnu aussi célèbre que Jaurès !

 

De celui-ci, le public connaît au mieux le combat pour la paix, à la veille de la Première guerre mondiale, et les circonstances violentes de sa mort. Son parcours, sa pensée, son action, ses écrits, ses contradictions et le contexte particulier dans lequel ils prennent place sont largement ignorés du grand public aujourd’hui. De Jaurès ne subsiste qu’une vague image d’Epinal qu’il convient, cent ans après sa mort, de dépasser pour mieux rendre hommage à un homme à l’intégrité indiscutable et aux choix politiques et philosophiques spécifiques, mais qui concernent toujours l’humanité au premier plan.

 

Les moyens du théâtre sont-ils adéquats pour effectuer une telle démarche ? Oui, si l’on considère que l’activité la plus marquante de Jaurès a été celle d’un tribun de premier ordre, galvanisant par sa seule parole des foules entières, parvenant à déstabiliser des gouvernements entiers par la seule puissance de son verbe et la puissance de ses analyses. Les moyens du théâtre s’avèrent toutefois problématiques (et c’est ce qui rend ce défi passionnant) à rendre compte d’un parcours de vie de plus de cinquante ans, à cheval sur deux siècles peu avares en bouleversements majeurs. Imaginer une pièce à huis-clos retraçant à travers une confrontation particulière (avec sa femme, avec un opposant de droite ou de gauche, avec un disciple ou tout autre témoin-prétexte) risquerait de faire sombrer la pièce dans le syndrome « wikipedia », de la narration savante a posteriori, qui n’aurait d’intérêt que pour quelques aficionados ou pour les amateurs de dialogues semi-statiques. Inversement restituer l’ensemble de l’action et de la vie de Jean Jaurès revient à imaginer une fresque de dix-huit heures, et à écrire d’avantage pour le cinéma que pour le théâtre. Comment résoudre l’équation ? En revenant à ce qui fait l’intérêt même de l’art dramatique, c’est-à-dire en faisant des choix draconiens, en étudiant les passages paroxystiques de l’existence d’un individu. C’est à travers la subjectivité du point de vue de l’auteur que se dessineront les grandes étapes de l’existence de Jean Jaurès. Ce point de vue n’obéit pas seulement à l’arbitraire de l’auteur, mais s’inspire par recoupements des grands ouvrages écrits sur le sujet et sur les discussions avec divers spécialistes. Le but de la pièce est de donner un aperçu en profondeur des grandes étapes de la vie politique de Jean Jaurès, mais aussi des aspects plus personnels de son existence, comme par exemple sa vie de famille douloureuse, ses origines semi-paysannes, son conservatisme moral et ses croyances chrétiennes profondément ancrées ! Ce double-choix s’impose pour expliquer au mieux la pensée singulière de ce socialiste tardif, mais inébranlable, pour mieux tenter de comprendre et de décrire les haines virulentes dont il fut l’objet des deux côtés de l’échiquier politique, à gauche comme à droite. Car personne en ce temps-là ne fut plus haï par les politiciens de tous bords que Jaurès. Mais personne n’eut davantage le souci désintéressé du peuple que lui et personne ne sut galvaniser les foules et s’adresser à l’intelligence des petites gens, sans démagogie  comme il le fit.

 

Et personne n’a davantage été récupéré que lui depuis un siècle !


 

JEAN JAURÈS
 

 

Léon Trotsky, 17 juillet 1915

 

Jaurès était l'incarnation de la force personnelle. Le moral en lui correspondait parfaitement au physique : l'élégance et la grâce en elles-mêmes lui étaient étrangères ; par contre ses discours et ses actes avaient cette beauté supérieure qui distingue les manifestations de la force créatrice sûre d'elle-même. Jaurès peut paraître peu caractéristique de la France. En réalité il était Français au plus haut degré. C'est là une race d'hommes d'une puissante musculature physique et morale, d'une intrépidité sans égale, d'une force de passion supérieure, d'une volonté concentrée. C'est là un type athlétique. Il suffisait d'entendre la voix tonnante de Jaurès et de voir son large visage éclairé d'un reflet intérieur, son nez impérieux, son cou de taureau inaccessible au joug pour se dire : voilà un homme.

 

La force principale de Jaurès orateur était la même que celle de Jaurès politicien : la passion tendue extériorisée, la volonté d'action. Pour Jaurès l'art oratoire n'a pas de valeur intrinsèque, il n'est pas un orateur, il est plus que cela : l'art de la parole pour lui n'est pas une fin mais un moyen.

 

Il ne montait pas à la tribune pour y présenter les visions qui l'obsédaient ou pour donner l'expression la plus parfaite à une chaîne d'idée, mais pour rassembler les volontés dispersées dans l'unité d'un but : son discours agit simultanément sur l'intelligence, le sentiment esthétique et la volonté, mais toutes ces forces de son génie oratoire, politique, humain, sont subordonnées à sa force principale : la volonté d'action.

 

Jaurès, athlète de l'idée, tomba sur l'arène en combattant le plus terrible fléau de l'humanité et du genre humain : la guerre. Et il restera dans la mémoire de la postérité comme le précurseur, le prototype de l'homme supérieur qui doit naître des souffrances et des chutes, des espoirs et de la lutte.


 

INTERVENTION DU 17 JUILLET 1912
 

Jean Jaurès, 17 juillet 1912

 

Il y a une autre force qui s’éveille : ce sont tous ces peuples, de toutes les races, jusqu’ici inertes, ou qui le paraissaient, qui semblaient pour nous à travers notre tourbillon d’agitations européennes, couchés dans un sommeil éternel et qui, maintenant, se réveillent, réclament leurs droits, affirment leur force, races de l’Afrique, races de l’Asie, le Japon, la Chine, l’Inde… Eh bien ! Je dis que, parmi tous ces peuples longtemps opprimés ou endormis ou séparés de l’Europe par des océans d’indifférence, je dis que partout il y a des forces morales neuves qui s’éveillent, un appétit de liberté, un appétit d’indépendance, le sens du droit…

 


 

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