ATELIERS D'ECRITURE/ENQUETE


JE BOXE DANS MA CATEGORIE...


BOUILLONNANT HUIS CLOS D’ÉCRIVAINS


ATELIERS D'ECRITURE/ENQUETE
 

 

Les Cahiers du Poche ont mené une petite enquête auprès des responsables d’ateliers d’écriture de la région...
Voici les réponses de Claude Champion, président de la Société Suisse des Auteurs (SSA) et initiateur de Textes-en-Scènes avec Pro Helvetia, le Pour-cent culturel Migros et l’Association Autrices et Auteurs de Suisse (AdS), en partenariat avec des théâtres professionnels romands, dont Le Poche ; un projet en faveur des auteurs dramatiques écrivant en langue française, suisses ou résidant en Suisse. Nous avons également interrogé sa collaboratrice, Jolanda Herradi. Enfin, nous nous sommes tournés vers Philippe Lüscher, directeur artistique des Maisons Mainou, résidence suisse d’écriture dramatique et de musique pour la scène. Fondée par Gérald Chevrolet, cette structure organise des stages d’écriture avec le soutien de la Commune de Vandœuvres, de la SSA et de l’État de Genève.

 

Quelle est la plus belle réussite pour un «Atelier d’écriture» ?

Claude Champion.- Relativement aux œuvres dramatiques, lorsque le ou les auteurs, le ou les  dramaturges accompagnateurs, les auditeurs spectateurs des lectures en fin d’un atelier d’écriture, les spectateurs des textes créés ensuite par des compagnies ou des théâtres, leurs directeurs, les metteurs en scène, les comédiens et les techniciens se rencontrent tous sur la certitude d’avoir enrichi leur vie d’une nouvelle expérience essentielle : voilà la seule et vraie réussite ! Mais comme il est à peu près impossible d’en être absolument certain, la passion de vouloir y tendre constitue déjà une bonne approche.

 

Jolanda Herradi.- D’avoir vu juste. D’être confirmé par toutes les voix d’avoir vu juste. De pouvoir affirmer et prouver que nous étions tous dans le même bateau et que grâce à moi, toi, nous et vous, l’embarcation hasardeuse est arrivée à bon port, rayonnante, fière, acclamée, digne de toutes les mémoires. Ou ai-je lu trop de romans ? NOOOON !

 

Philippe Lüscher.- La plus belle réussite pour un atelier d’écriture est sans conteste l’adéquation entre un auteur confirmé qui a le désir de transmettre son expérience à un auteur débutant qui va, lui, grâce au stage, trouver et développer son talent d’écriture. C’est ce genre de rencontres que je trouve passionnantes et déterminantes.

 

Et la pire catastrophe ?

CC.- Quand tout un chacun se contente d’être content.

 

JH.- Pour un auteur, c’est d’être confronté à l’adage « be aware of what you want – you just may get it ». L’auteur, solitaire et un brin excité propose le cœur battant son projet d’écriture à un jury lequel - eh oui ! - est subjugué et lui attribue une bourse, un atelier d’écriture, des coachs, des dramaturges, des conditions de travail idéales et surtout, ô malheur, des attentes... Ledit auteur, plus solitaire du tout car propulsé sous les feux du regard et des attentes, quelque peu paralysé par son propre succès auquel il n’a guère cru ou espéré puisque, au fond, il préférait ne pas y croire, se retrouve face à sa page. Sa blanche, sa fameuse page... qui attend... qui s’éternise... Il est midi moins  cinq : et si on proposait – vite ! – de changer de sujet ? Ce qui amène à la pire catastrophe de ceux qui ont initié l’atelier, fruit de TANT de réflexions et travaux de TANT de professionnels : et si nous étions naïfs ? Et si la structure de l’atelier reposait sur des bulles mirobolantes ? - NOOOON !

 

PL.- Si le maître de stage a la tête ailleurs, est incapable d’entrer en relation de confiance avec les stagiaires, qu’il fait preuve de peu d’imagination à les guider, à les  motiver, à  corriger leurs erreurs, que l’ambiance de travail peine à trouver son rythme et que des conflits éclatent entre eux... Là, on peut parler de désastre et de pure perte de temps !


 

JE BOXE DANS MA CATEGORIE...
 



entretien avec Claude Vuillemin, réalisé par Julien Lambert, tiré des Cahiers du Poche n°9

Claude Vuillemin est un comédien au talent singulier, qui a été pendant plusieurs années l’un des interprètes favoris de Benno Besson. Tout récemment, il touche un large public avec La Pantoufle de Claude Ponti. Il est aussi Nestor, dans les fabuleux Bijoux de la Castafiore, mis en scène par Dominique Catton et Christiane Suter. Comme metteur en scène, il accorde une attention toute particulière au travail d’acteur. Au Poche en 2007, La Sourde Oreille de Torben Betts a ému plus d’un spectateur.

 

Quel souvenir gardez-vous des dix années où vous avez joué dans pratiquement tous les spectacles de Benno Besson et de Claude Stratz ?

Je sortais à peine de l’école, et j’ai appris le métier avec eux. J’ai surtout été marqué par leur rigueur dans  l’analyse des textes et des enjeux dramaturgiques. Avec Besson, cette recherche passait toujours par le corps et le jeu, dans une atmosphère d’amusement sérieux, même si on lui reprochait de trop dicter les intonations, et donc le sens des répliques. Il regrettait que les Suisses ne mettent jamais de point à la fin des phrases, par esprit de neutralité. Pour lui chaque scène était un combat où le  personnage joue toute sa vie.


Et comment avez-vous fait le pas de la mise en scène ?

Peut-être justement parce qu’à vingt-deux ans, je faisais déjà les pères, à cause de mon physique. En mettant en scène mon premier spectacle, L’Échange, je m’offrais le luxe de pouvoir fantasmer sur quatre personnages, sachant que je ne les jouerais sans doute jamais. Et je me suis surpris à me sentir plus à l’aise dans la mise en scène : cela me fait aussi jouer, mais je le fais comme une indication légère, pour montrer à l’acteur ce que j’attends, sans le souci du rôle à assumer ensuite ; comme un slalom dont on dessinerait le parcours en une grande courbe, plutôt que de buter violemment contre chaque porte.

 

De Claudel à Lodge en passant par Karl Valentin, vos affinités littéraires sont plutôt éclectiques...

Ce n’est ni par coquetterie, ni par souci d’originalité. Molière, c’est très beau, mais pourquoi le monter aujourd’hui ? D’autres le font très bien. Je me reconnais plus facilement dans le théâtre anglo-saxon qui est à la fois léger et plein d’acide, capable de traiter des sujets profonds dans le décalage. Le lyrisme du théâtre français contemporain me dépasse : je boxe simplement dans ma catégorie. Je choisis de monter des pièces qui correspondent à un état de ma vie, qui sont dans l’air du temps, de mon temps. Les personnages quinquagénaires de L’Atelier d’écriture sont arrivés à un palier de leur carrière, ils sentent qu’ils perdent le désir : un danger qui me guette parfois...


La pièce propose en effet trois portraits d’écrivains plutôt caustiques, de l’auteure de best-sellers au romancier cynique, en passant par le provocateur...

Oui, mais sous la satire, on sent de la part de Lodge une vraie passion pour la littérature. À l’égard des auteurs, il nourrit un rapport d’amour-haine, riche en contradictions et donc réjouissant pour la scène. Je suis fasciné par les écrivains, par la personne cachée derrière le nom en couverture. C’est donc pour moi l’occasion de pénétrer dans leur cuisine et de démystifier ces gens que je mets sur un piédestal, mais qui vivent eux aussi des crises existentielles. Lodge a néanmoins de l’empathie pour ses personnages, qui se demandent s’ils vont rebondir, artistiquement et sexuellement.

 

Ce mélange d’intrigues littéraires et amoureuses peut surprendre, dans le contexte d’une résidence d’écriture, a priori peu propice au marivaudage...

Le besoin  de séduire se situe également dans l’écriture : le désir d’accrocher l’autre, et d’acquérir ainsi un pouvoir sur lui. Le désir de Léo, l’écrivain blasé, est vampirique : posséder l’auteure à la mode pour partager son succès, et prendre dans le sexe sa revanche sur les chiffres de vente ! Mais elle aussi semble redouter le bloquage, la chute, après avoir atteint des sommets : la crainte de la mort n’est jamais loin. Les enjeux apparemment artistiques deviennent des questions de survie. Peut-être que les artistes sentent cette confrontation entre Eros et Thanatos un peu plus que les autres. Entre « être et avoir été ».


Et pour les amateurs qui participent à leur stage d’écriture, il s’agit aussi d’« être ou de devenir un autre », obsession d’une société où l’écriture n’est plus la propriété des artistes, mais un bol d’air et de narcissisme que s’offre tout un chacun ?

On se sent toujours plus difficilement exister, alors on invente des moyens d’y croire de nouveau. Tout le monde a des idées, mais je ne pense pas que tout le monde ait la capacité de bien les traduire. Que les gens peignent je n’ai rien contre, mais qu’ils ne se prétendent pas peintres parce qu’ils mettent de la couleur sur une toile... C’est la télé-réalité qui fait croire à tout le monde qu’on peut devenir génial en une émission !

 

Vous avez choisi Philippe Lüscher, lui-même directeur de la résidence d’écriture aux Maisons Mainou, pour jouer un rôle assez proche dans la pièce : clin d’œil ?

Bien sûr. Pour le rôle de Maude (Caroline Gasser), il m’importait aussi d’avoir quelqu’un qui sache ce que c’est : pas tant le succès médiatique, mais d’avoir un mari, des enfants et d’affronter la cinquantaine... J’essaye de cultiver une mise en abyme entre la personne de l’acteur et son rôle : pour qu’il se sente impliqué personnellement et ne puisse pas se contenter de faire son métier.


 

BOUILLONNANT HUIS CLOS D’ÉCRIVAINS
 

Entretien avec David Lodge réalisé par Agnès Santi, La Terrasse, 2009

 

Comparée à l’écriture romanesque, quelles spécificités revêt l’écriture dramatique pour vous ? N’êtes-vous pas un peu privé du formidable pouvoir du récit en écrivant une pièce de théâtre ? 

La plupart des idées que j’utilise dans la fiction romanesque semblent avoir besoin de l’expansivité de la forme du roman pour être pleinement développées, mais dans le cas de L’Atelier d’écriture, le point de départ est une situation qui paraît faite pour le théâtre, parce qu’elle se conforme aux unités classiques de temps, lieu et action : trois écrivains se rassemblent, par hasard, dans un endroit éloigné de leurs habitats, ils sont obligés de vivre ensemble dans un espace réduit, et ils rivalisent en tant qu’auteurs et que professeurs, mais aussi sexuellement. Une telle situation génère de vifs conflits, pouvant tout à fait s’articuler et se ramifier à travers le dialogue. Cependant, le récit fait irruption dans la pièce, lors des trois lectures.

 

L’Atelier d’écriture met en scène des écrivains et des universitaires, comme dans plusieurs de vos romans. En quoi est-ce intéressant de se focaliser sur ce monde particulier ?

Les écrivains ont tendance à écrire sur des milieux qu’ils connaissent par expérience personnelle, et les mondes littéraires et universitaires sont ceux que je connais le mieux. J’aime aussi créer des personnages intelligents qui s’expriment bien, pour que des débats d’idées puissent faire partie de l’œuvre. Les écrivains comme les universitaires sont présumés être engagés dans la quête de la sagesse et de la vérité. Le fait qu’ils soient aussi enclins à des faiblesses humaines ordinaires, comme le désir sexuel et l’ambition, crée les conditions de la comédie et la satire.


 

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