BERGAMOTE A ÉTÉ UNE RÉUSSITE


BERGAMOTE, NOCES DE CARTON


"J'ÉCRIS POUR QUE LES GENS SE SENTENT MOINS SEULS"


BERGAMOTE SIGNE SA DERNIÈRE CRÉATION


LES RETROUVAILLES


BERGAMOTE A ÉTÉ UNE RÉUSSITE
 

 

Claude-Inga Barbey est sur les planches du Théâtre Le Poche, à Genève, jusqu’au 31 décembre pour le dernier spectacle de Bergamote. Rencontre avec une artiste au franc-parler et au cœur grand ouvert.

 

Coopération, Jean Pinesi, 6 décembre 2011.

 

Noces de carton est empreint d’une note de tristesse, car c’est le dernier Bergamote…

C’est le dernier dramaturgiquement parlant. Lapp (ndlr : Patrick Lapp, son partenaire sur scène) n’est pas encore mort. Il est vieux, mais pas mort ! Comme il est très ambitieux, je me dis qu’il va bien réussir à me choper pour en faire encore un. C’est vrai qu’à la fin de l’histoire, il meurt. Mais tout reste possible, car je peux partir avec le toubib. Et comme c’est lui qui joue le toubib… (Rires)

 

Ce spectacle met en scène le couple Monique et Roger au moment où les enfants ont quitté le cocon. Un face-à-face que beaucoup de couples appréhendent…

C’est vrai. Personnellement, j’ai vécu ça d’un coup. Mes trois aînés sont partis en même temps et je me suis retrouvée seule avec le plus petit. Pendant une année, j’ai continué à faire les courses pour six personnes avant de me rendre compte que je ne devais plus acheter deux ou trois poulets mais un seul, voire un demi ! Mais j’ai la chance d’avoir des enfants qui viennent souvent me voir. Une ou deux fois par semaine, ils viennent manger à la maison.

 

Dans Noces de carton, quelle touche donnez vous à votre personnage ?

L’âge.

 

L’âge ?

Dans ce spectacle, Patrick et moi jouons beaucoup autour des petits bobos de l’âge : on a mal aux genoux, on n’entend plus très bien, on doit mettre ses lunettes pour lire la carte au resto, on a des trous de mémoire… Nous avons vieilli avec notre public. L’avantage, c’est que les gens peuvent continuer à se moquer un peu d’eux-mêmes.

 

L’humour, la dérisions, l’ironie : de bons antidotes aux problèmes de la vie quotidienne ?

C’est même une question de survie. Si l’on ne prend pas un peu de distance, on est fichu. Les créations où l’on passe directement de son chagrin ou de ses problèmes au spectacle n’ont pas l’impact voulu. Il faut mettre quelque chose entre deux pour que l’émotion passe. Et le rire est un très bon moyen pour faire passer l’émotion.

 

Vous avez eu 50 ans cette année : une étape importante de votre vie ?

Non, sinon que je commence à me dire qu’il n’y en a plus beaucoup devant.

 

La comédienne a-t-elle peur de vieillir ?

Non, pas vraiment. Je m’en fiche un peu à vrai dire.

 

Et la femme ?

La femme, oui. Quand on se lève dans le bus pour que vous puissiez vous asseoir, c’est moins gratifiant qu’un regard. Ça fait drôle de ne plus être regardée. C’est dur aussi, parce que dans la tête, je suis restée pareille. Je trouve que les hommes vieillissent mieux physiquement.

 

En 2012, vous reprenez Merci pour tout, un spectacle solo qui parle de la générosité. Un thème qui vous tient particulièrement à cœur…

En fait, j’ai beaucoup de peine à ne pas entrer dans la souffrance et la joie des gens. Dans ma vie, je me suis souvent trouvée à aller plus loin que de simplement donner deux francs. À un certain point, je me suis sentie dépassée. Ce sont mes enfants qui m’ont fait prendre conscience que je ne pouvais pas continuer comme ça.

 

Faut-il mettre des limites à la générosité ?

Je pense que la limite consiste à se demander si c’est vraiment de la générosité ou plutôt un besoin désespéré d’amour, de reconnaissance. Je n’ai pas la réponse. Dans le don, j’ai perdu beaucoup de plumes et d’illusions, mais je ne peux pas faire autrement. Je suis comme ça. J’ai en tout cas appris à préserver ma maison, l’endroit où je peux aussi me cacher.


 

BERGAMOTE, NOCES DE CARTON
 


Les enfants sont grands. Même le petit dernier est parti. Le légendaire couple de Bergamote, Monique et Roger, se retrouve seul à la maison. La saga est de retour sur les planches du Théâtre Le Poche. 


Les Nouvelles, Cristelle Coppolino, novembre 2011

 

S’il est si difficile de cataloguer les cinq opus de Bergamote, c’est peut-être dû au fait que tout a commencé il y a quinze ans sur les ondes de la Radio Suisse Romande. C’est là-bas que Claude-Inga Barbey et Patrick Lapp se sont rencontrés et ont créé Bergamote, une émission de radio qui évoquait le quotidien du couple de Monique et Roger. L’émission s’est ensuite mutée en spectacle Bergamote puis ont suivi : Bergamote et l’ange, Aller-simple, Le Temps des cerises et Le Modern. Dans leur dernière création, Noces de carton, Monique et Roger se retrouvent seuls, leurs enfants sont partis et ils entrent presque dans le troisième âge. Un théâtre qui raconte la vie intime d’un couple, un théâtre populaire qui souligne avec causticité le quotidien et qui nous ressemble forcément à un moment ou à un autre de la pièce.

 

Interview décalée avec Patrick Lapp :

 

 

Pouvez-vous nous parler de ce nouveau spectacle, Bergamote, Noces de carton, qui fait suite aux autres Bergamote.

C’est Noces avec un « s », parce qu’il y a plusieurs rencontres. Quant au carton, il a beaucoup d’importance. Comme dans tous les déménagements.

 

 

Comment est-ce que l’émission Bergamote a-t-elle commencé puis s’est transformée en spectacle ?

C’est une question à poser à notre réalisateur, Claude Blanc. (Parlé fort)

 

 

Commnent décririez-vous le couple de Monique et Roger ?

Roger aime Monique. Alors que Monique aime Roger. Est-ce suffisant pour vivre heureux ? Une réponse dans les 400 prochaines représentations au Théâtre de Poche de Genève.

 

 

En quoi ressemble-t-il à un couple suisse romand ?

Nous avons joué le premier Bergamote, au théâtre Hébertot, à Paris (France), durant une année. Presque chaque soir, des spectateurs suisses romands sont venus nous dire leur fierté de constater que leurs histoires d’amour avaient un succès qui les réconfortait.

 

 

Vous travaillez beaucoup avec les mêmes personnes : Jean-Charles Simon pour Aqua Concert : qu’est-ce qui vous plaît dans le fait de travailler avec Claude-Inga Barbey et Claude Blanc ?

Ce qui me plaît, c’est que ça leur plaît.

 

 

Comment se passe l’écriture des Bergamote ?

L’écriture se passe quand nous parlons ensemble de ce qui se passe entre nous.

 

 

Est-ce le dernier ?

Oui. Encore 1000 fois, et on s’arrête. Après, il faut répéter le suivant.

 

 


 

"J'ÉCRIS POUR QUE LES GENS SE SENTENT MOINS SEULS"
 

 

La romancière et comédienne Claude-Inga Barbey sera sur les planches dès la semaine prochaine dans le nouveau «Bergamote», puis dans «Betty», à Genève.


Le Matin, Anne-Sylvie Sprenger, 12 mai 2011

 

Comédienne et romancière, Claude-Inga Barbey ne se laisse pas tranquille. Que ce soit dans ses romans ou les pièces qu'elle joue, elle se met en scène comme d'autres s'amusent à percer leurs gros vilains boutons devant leur miroir. Avec son humour grinçant et empreint à la fois d'une belle dose de tendresse, elle ausculte toutes ses névroses de femme sensible, amoureuse, inquiète, parfois pathétique.

De ses blessures intimes, elle façonne une poésie qui agit comme un baume réconfortant pour nos propres douleurs. Voilà pourquoi on l'aime. Et si aujourd'hui on la retrouve dans deux spectacles autour de l'implacable temps qui passe - «Noces de cartons», la nouvelle et dernière création de Bergamote avec Patrick Lapp, et «Betty», ou les séances de psychothérapie d'une quinquagénaire paniquée -, ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard... Interview intimiste.

 

Vous êtes à l'affiche de deux spectacles sur le temps qui passe, est-ce à dire que la vieillesse vous fait peur?
Non, je me réjouis plutôt de ne plus être dans l'attente que quelque chose d'extraordinaire se passe dans ma vie. Si j'y parviens un jour, j'aimerais être une vieille dame contemplative qui n'attend plus rien mais savoure le moment présent.

 

Que ce soit dans Bergamote ou vos textes, vous vous servez toujours de vos propres émotions, n'avez-vous jamais l'impression de vous mettre trop à nu?
Si, ça m'est arrivé pour mon spectacle «Les petits arrangements» qui parlait d'un énorme chagrin d'amour. Mais, quand on est malheureux, en colère, voire désespéré, et qu'on ne peut ni faire du mal à l'autre ni se faire du mal à soi-même, faire de sa souffrance quelque chose qui peut aider les autres reste la meilleure solution. En tout cas, je n'en ai pas trouvé d'autre.

 

Qu'est-ce qui vous motive dans cette parole de l'intime?
Comme je vous le dis, transmettre des émotions communes à tout le monde, de façon un peu réfléchie et surtout décalée, pour que les gens se reconnaissent et se sentent moins seuls.

 

Claude-Inga nous fait rire, et pourtant, on découvre entre les lignes un personnage plutôt angoissé et mélancolique: qui est Claude-Inga?
Je ne sais pas, c'est bien ça mon problème. Une personne qui essaie d'approcher la vérité comme on s'approche d'un feu qui se brûle souvent mais n'arrive pas à renoncer... Je suis un peu comme Grock, ce vieux clown, qui poussait le piano plutôt que le tabouret de piano pour se rapprocher du clavier. Pathétique, mais drôle, enfin j'espère...

 

Vous reconnaissez-vous dans la figure du clown triste?
Non, je ne suis pas assez habile, et mon instrument à moi, vous l'avez très bien formulé, c'est la mise à nu.

 

Qu'est-ce qui vous apporte le plus de plaisir, le moment secret de l'écriture ou l'exubérance de la scène?
La scène pour moi, c'est travailler avec une famille dans une maison qu'il faut retaper, cela me sécurise. Je suis parfois découragée par la somme de travaux ingrats qu'il faut encore effectuer, mais il y a ces moments où on casse la croûte au milieu du chantier et où on rit beaucoup. L'écriture, ça ressemble aux moments où je vais prier à l'église, c'est une affaire entre moi et moi; un rituel, une discipline, avec les satisfactions que ça implique quand on y arrive. Et l'espoir d'être entendu...

 


 

BERGAMOTE SIGNE SA DERNIÈRE CRÉATION
 

LeMatinDimanche, Anne-Sylvie Sprenger, 15 mai 2011

 

Voilà une quinzaine d'années que Claude-Inga Barbey et Patrick Lapp proposent des thérapies conjugales par l'humour. Avec leurs émissions de radio, puis leurs désormais fameux spectacles Bergamote - souvent en compagnie de leurs joyeux compères (Claude Blanc, Doris Ittig ou encore Marc Donnet-Monay) -, ils permettaient aux couples romands de rire de leurs disputes et autres agacements conjugaux, le tout avec un brin de poésie surréaliste absolument irrésistible. Avec «Noces de carton», ils se retrouvent face à face pour fêter leurs retrouvailles, mais également ce qui sera leur dernière création. Explications.

 

ELLE: CLAUDE-INGA BARBEY



Après ces «Noces de carton», c'est fini pour «Bergamote»? Vous ne vous entendez plus?

Si, au contraire. On ne s'est peut-être jamais si bien entendus. Mais nous avons créé sept spectacles, et il est temps, je crois, de les jouer, simplement de les jouer, ailleurs qu'en Suisse peut-être, ou alors même en Suisse allemande où nous ne sommes jamais allés, au Tessin, ailleurs quoi... Curieusement on ne s'est jamais retrouvés seuls sur scène, Patrick et moi; il y avait toujours ou Claude Blanc, ou Doris Ittig ou Donnet-Monay ou d'autres. Peut-être parce que ça nous faisait peur de nous retrouver face à face. Mais je suis très heureuse de cette nouvelle intimité.

 


Où en sont Monique et Roger dans ce nouveau et dernier spectacle?

Ils sont arrivés à l'âge où l'on est surpris par de petites douleurs aux genoux... Où on se dit que, tiens c'est curieux, ils écrivent de plus en plus petit dans les journaux, et pourquoi parle-t-il si doucement tout à coup... Ils se retrouvent face à face, les enfants sont partis, et il y a, pour Monique, l'angoisse de cette chambre vide. Quoi faire avec? Une chambre d'amis? Un bureau pour Roger? Monique continue à remplir le frigo et à faire à manger pour quatre personnes alors qu'ils ne sont plus que deux. A l'âge aussi, où on peut passer vingt minutes à essayer de se rappeler le nom de tel acteur dans... comment il s'appelle ce film, tu sais?! Mais oui... avec machin, celui qui joue dans... quoi déjà?

 


Nous ne les verrons donc jamais réellement vieux?

Vous savez, Lapp est déjà très âgé...

 


On suit ces personnages depuis une quinzaine d'années. Vous-même, quel regard portez-vous sur leur parcours?

Je les considère un peu comme de vieux amis qui vivent à l'étranger et qu'on revoit volontiers chaque année en période de vacances. Le premier soir on se raconte tout ce qu'on a fait dans l'année, le deuxième soir on se dit la vérité, que ça ne va pas du tout en fait, et le troisième soir on se saoule en se prenant dans les bras et en se répétant qu'on s'aime et que la vie est courte. Et puis à la fin du séjour, on se promet qu'on va s'écrire, et après on oublie jusqu'à l'année suivante.

 


Et sur le vôtre? Comment a évolué votre tandem à la ville?

Non, on ne couche pas ensemble...



Le couple de Monique et Roger aura marqué les Romands. Comment analysez-vous cet attachement particulier du public?

D'abord, je pense que Lapp est très fort à la radio. Et que la radio, plus que la télévision, donne un sentiment de proximité et d'intimité aux gens. Les stars de la radio font partie de la famille. En général on est seul pour écouter Lapp ou Fernagut, et on a le sentiment qu'ils parlent pour nous seuls dans notre cuisine ou notre chambre à coucher. Ensuite, je crois que le couple Monique et Roger vieillit avec son public, et que ça, dans les sujets traités, c'est un atout pour la longévité d'une oeuvre. Prenez Gainsbourg par exemple, toute proportion gardée, il a traversé les époques en prenant ce qui était nouveau... Les gens se reconnaissent dans ce qu'on fait. On a eu de la chance, c'était au bon moment au bon endroit.

 


Qu'est-ce qui vous aura le plus séduit chez eux?

Leur normalité je crois, et le fait d'être drôles malgré eux.

 


Et agacé?

La lâcheté de Roger, et l'hystérie de Monique. Mais quand on aime les gens on tolère leurs défauts, on les invite quand même.

 


Comment ces deux-là disent-ils au revoir au public?

Je ne pense pas que c'est un adieu. Patrick et moi avons le même souhait, jouer ces spectacles, qui existent, qui ont été finalement assez peu exploités. Je pense que les gens seront surpris par ce dernier Bergamote, les choses ne tournent pas vraiment comme ils pourraient l'attendre. C'est comme dans la vie, on prévoit, on anticipe, on imagine, et ce qui arrive arrive où on ne l'attendait pas. C'est peut-être là qu'est le message que nous voulons faire passer dans cet opus.

 


 

LUI : PATRICK LAPP


   Après ces «Noces de carton», c'est fini pour «Bergamote»? Vous ne vous entendez plus?

«Noces de carton», c'est un spectacle qui dure près d'une heure et trente minutes. Après, Bergamote s'arrête, en effet. Pour reprendre le lendemain à la même heure. Avec à peu près la même durée. Depuis que nous avons installé des doubles vitrages dans notre appartement, on s'entend beaucoup mieux. Il fallait y penser.

 

   Où en sont Monique et Roger dans ce nouveau et dernier spectacle?

Monique et Roger en sont là où ils en sont. Ils ont leur âge, avec les problèmes de leur âge. Et ils ont décidé de ne faire plus qu'un. Mais ils n'arrivent pas à savoir lequel.

 

  Nous ne les verrons donc jamais réellement vieux?

Si, un jour, vous voulez voir Monique et Roger très vieux, faites au moins une heure de sport par jour.

 

   On suit ces personnages depuis une quinzaine d'années. Vous-même, quel regard portez-vous sur   leur parcours?

Monique a les idées d'une femme qui a du talent. Quant à Roger, il se contente de se coincer le pouce dans la portière de sa bagnole allemande.

 

   Et sur le vôtre? Comment a évolué votre tandem à la ville?

Notre parcours a changé cette année. Comme nous avons acheté une autre bicyclette à deux sièges, nous allons partir faire le tour du Tibet.

 

   Le couple de Monique et Roger aura marqué les Romands. Comment analysez-vous cet attachement particulier du public?

Les Romands, c'est Monique et Roger. Ils ont des histoires d'amour qui sont proches des nôtres. Des moments de haine aussi. Parfois, Monique et Roger trouvent des solutions heureuses. Mais il paraît que ça ne marche qu'au théâtre. C'est à essayer. C'est remboursé par les caisses maladie honnêtes.

 

   Qu'est-ce qui vous aura le plus séduit chez eux?

Le charme de l'un des deux.

 

   Et agacé?

Le charme de l'un des deux.

 

   Comment ces deux-là disent-ils au revoir au public?
   A demain.

 

LES RETROUVAILLES
 

entretien avec Claude-Inga Barbey réalisé par Anne-Sylvie Sprenger

 

Nous allons retrouver Monique et Roger dans ce spectacle, où en sont-ils?

Ils sont vieux, ils ont vieilli avec leur public, ils ont tous les travers de l’âge: ils sont un peu sourds, ils commencent à perdre la mémoire, mais ce n’est pas encore catastrophique…

 

Et dans leur couple?

Ils ne se comprennent plus parce qu’ils ne se souviennent de rien, qu’ils ne s’entendent plus et ne voient plus très bien, mais ils vont plutôt mieux que sur les derniers spectacles… Même si cela va quand même finir très mal…

 

Voilà plusieurs années que ces personnages existent, quel regard portez-vous sur leur parcours?

Le même regard que je porte sur le mien, en me disant qu’il y a quand même de très, très bons côtés avec l’âge. Des choses qu’on ne refera plus et des expériences de vie qui sont toujours intransmissibles. Mais reste toujours le regret de ne plus avoir la même forme physique et le même élan qu’à 20 ans. On est comme les spectateurs, on aimerait encore tomber amoureux, on aimerait avoir plein de vies différentes, et puis en même temps on a un inconfort de plus en plus prononcé, dans tous les sens du terme. C’est assez triste.

 

Quelle est la part d’autobiographique dans ces spectacles de Bergamote?

100%, toujours. Avec Patrick, on mélange des choses qu’il vit personnellement et des choses que je vis de mon côté. Simplement, dans la vie, on ne les vit pas ensemble. Et quand tout à coup on met tout ensemble sur scène, quand on prend tous nos travers de vie personnels, ça fait un mélange assez explosif. Si on vivait ensemble, on n’aurait absolument rien à dire, mais comme on vit chacun des situations différentes avec des gens différents, c’est intéressant. C’est ce mélange-là qui fonctionne bien, ce petit recul, cette petite ironie, cette mise à distance des choses que l’on vit dans le quotidien. C’est pour cela que je dis que la part autobiographique est à 100%, après c’est la théâtralité, la façon dont on aborde le sujet qui en fait des choses un peu hors du quotidien, hors de la banalité.

 

Comment élaborez-vous vos spectacles? Vous écrivez des sketchs chacun de votre côté?

Non, pas du tout, on travaille ensemble sur improvisations. Là, on fait une scène où il drague une nana et, tout à coup, il perd son appareil et il n’entend plus du tout ce qu’elle dit. On est parti du fait que Claude entend de moins en moins bien et on a inventé cette scène comme ça. Alors après on essaie, on change, on réessaie. C’est un travail en commun: on travaille ou au bistrot ou au théâtre. Et puis si on a une idée, on s’envoie un petit sms: «Dis, qu’est-ce que t’en penses?»

 

Cette collaboration comment a-t-elle évolué au fil des années?

A un moment on a traversé une période assez difficile lorsque l’on montait notre troisième spectacle. On ne pouvait plus se blairer. Et puis on a fait chacun des trucs de son côté, et après on est revenu l’un à l’autre tranquillement. C’est bon de se retrouver. Aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de changement par rapport aux tout débuts, on a juste vieilli chacun de son côté. Et notre couple de scène a vieilli aussi, et on est resté dans l’envie de raconter ça.

 

 

Comment comprenez-vous l’attachement particulier du public à ce couple de scène?

L’identification. On vient de rencontrer un couple qui dit que quand ils sont de mauvaise humeur, ils jouent à Bergamote! Même si ce n’est pas prise de tête qu’il n’y a pas d’effort de réflexion pour le spectateur, c’est très thérapeutique. En tout cas, c’est ce que les gens nous disent. Et puis les petites danses, les gags, les choses comme ça, aident les spectateurs à s’identifier. On n’est jamais dans la caricature, ce n’est pas notre genre. Dans les one-man-shows, les comiques sont face au public, les gens reçoivent les choses, rient, mais ne peuvent pas monter sur le plateau avec les personnages. Là, on a vraiment l’impression que les gens sont avec nous. C’est cette proximité qui plaît.

 

Vous transportez, depuis plusieurs années, une image du couple très pessimiste, n’est-ce pas lourd à porter ?

Je ne crois pas que cela soit si pessimiste que ça puisqu’ils sont toujours ensemble. Les enfants sont grands, ils sont partis, ils se sont mariés, et puis on se retrouve tout seuls. Mais même s’ils s’énervent et s’engueulent, ils sont toujours ensemble, c’est ça qui compte. Bien qu’en même temps, ils n’ont pas trop le choix non plus...

 

Vous souvenez-vous du moment où vous avez imaginé ce couple pour la première fois?

Nous étions dans le train entre Genève et Lausanne, on partait travailler à la radio. Je venais de vivre une scène de ménage pour une histoire de lessive et mon mari m’a appelé quatre fois pour me demander si telle chose allait à 40° ou 60°, et comment on appuyait sur le bouton de la machine… Je me suis dit qu’il y avait là une sacrée matière pour une émission de radio.

 

Vos personnages vieillissent en même temps que vous…

Oui, et le public vieillit avec nous. Je pense qu’ils viennent nous voir aussi pour voir où on en est, comme on vient voir de vieux amis. Et puis après ils peuvent sortir et dire: «T’as vu machin? T’as vu comme elle a pris du bide?» «Oh oui! Et puis lui, qu’est-ce qu’il est vieux!» «Mais il est quand même sympa…»

 

Qu’est-ce qui vous touche le plus chez ces personnages?

Chez Roger, ses travers sont aussi les choses les plus touchantes: la lâcheté, la paresse… Là dans le spectacle, il n’arrive pas à brancher les câbles Internet et il devient fou. Pendant tout le spectacle, il est obsédé par cette histoire de câbles qu’il n’arrive pas à brancher pour foutre Internet dans sa baraque. Alors c’est à la fois très agaçant quand c’est vous qui attendez la connexion Internet, et puis en même temps très touchant quand on regarde depuis l’extérieur. Quant à Monique, je crois que ce sont ses espoirs qui sont tout le temps, tout le temps déçus…

 

Et qu’est-ce qui vous irrite le plus?

La même chose.

 

Pourquoi faut-il venir voir ce nouveau spectacle?

Parce qu’il sera bien. J’ai vraiment le sentiment qu’on s’était un peu perdu en route avec «Le Moderne» et le Shakespeare et que là on retrouve quelque chose du tout début. Comme dans la vie finalement, une fois que l’on a fait tout le trajet amour-enfants-baraque-boulots-retraite, il y a un moment où on se retrouve au point zéro avec les mêmes envies qu’au tout début, mais avec une certaine fatigue et des expériences. Donc je crois que les personnages sont aussi touchants que dans le tout premier spectacle, il y a à nouveau quelque chose de plus simple, de plus essentiel.


 

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