RETROUVER LE CHEMIN DU DESIR...


RETROUVER LE CHEMIN DU DESIR...
 

Marie-Pierre Genecand, Le Temps, 18 novembre 2011

 

Inventer une langue pour dire dans les moindres nuances, au souffle près, comment retrouver désir et plaisir après un traumatisme. Baptiste et Angèle étaient adolescents en 1994 lorsque le Rwanda a vécu l’horreur génocidaire. Au Théâtre Le Poche à Genève avant Vidy-Lausanne, l’auteur et metteur en scène Francine Wohnlich place les rescapés encore blessés derrière une table haute et les soumet à un dialogue serré, parfois complexe, pour qu’ils recréent une intimité malgré la peur et les démons du passé. A leurs côtés, deux autres personnages veillent en anges gardiens sur ce chemin de paroles. Le parcours, intime, est ponctué par la musique à la fois douce et stridente de John Menoud. Un ouvrage délicat, à la limite du maniérisme, mais toujours sensible.

«Le désir, ça fait de la place, ça m’accorde, ça fait de l’accueil. […] Et, dans ma demande, il y a de la peur: plus je fonds et plus je me sens livrée, donnée. Perdue à moi-même», observe Angèle. «Le désir, il te rend justement vivante là où tu es seule et désespéreuse. […], répond Baptiste. Tu refuses le dégel, Angèle. La glace te préserve des douleurs. Le sang de vie, ça se fraie passage – et c’est doulourant.» Dans ce texte de la réparation qui a été choisi pour une mise en onde sur France Culture, Francine Wohnlich multiplie les néologismes (malitude, réflexionnement, colérer, etc.) pour cerner le vertige de cette jeune fille qui aimerait aimer, mais en est empêchée. Les trouvailles sont séduisantes, mais, vu que chaque terme a son équivalent en français, cette inventionnite irrite aussi parfois car elle complique le rapport du spectateur-auditeur au sujet, la sexualité. Comme si l’auteur privilégiait le jeu sur l’enjeu. Le son sur le sens.

Car, et c’est aussi une qualité de ce spectacle, une grande place est aménagée à la musique composée par John Menoud. Assises à l’avant-scène, la violoniste Valérie Bernard et la percussionniste Marion Frétigny livrent une matière sonore qui, de l’harmonie au cri, raconte aussi les différents états amoureux. Au second plan, derrière une grande table d’acier qui peut évoquer une table de procès, les quatre comédiens, immobiles, posent les mots avec une grande délicatesse. Claire Deutsch, jeune diplômée de la Manufacture, cisèle de sa voix grave le profil d’Angèle. Elle exprime parfaitement les peurs enfouies qui, subitement, grimacent à la surface. Bastien Semenzato donne du cœur à Baptiste. D’abord serein, il est aussi rejoint par les effrois souterrains. Carine Barbey et Roman Palacio incarnent avec tact les amis, accoucheurs de cette difficile (re) naissance au plaisir.

 


 

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