LE FEU SACRÉ D’UNE JEUNESSE BLESSÉE


ANNE TISMER, UNE BRÛLURE DANS LA NUIT


FALK RICHTER: SISMOGRAPHIE DE NOS VIES


FALK RICHTER ET LA SPIRALE DU VIDE


SI ON POUVAIT NE PAS GRANDIR


GÉNÉRATIONS DÉSENCHANTÉES


LE FEU SACRÉ D’UNE JEUNESSE BLESSÉE
 

 

Le Temps, Alexandre Demidoff, 29 septembre 2011

 

(...) Parce qu’il pilonne l’époque et ses créatures, on imagine Falk Richter sanglé dans un perfecto, noyé dans un nuage de fumée, fumant de partout et potentiellement désagréable. On a tout faux: le jeune homme qu’on rencontre à Genève a l’amabilité d’un docteur en astronomie, le cheveu turbulent et un air de comète printanière.

 

Falk Richter, 42 ans, est estudiantin. Question d’allure. Sa jeunesse n’est pas tout à fait enfuie. Elle a pris ses quartiers d’hiver et elle résiste. Elucubrations? Déductions plutôt. Jeunesse blessée traite de cette maladie de la jeunesse qui est le lot d’une génération – celle du soussigné aussi. Avoir franchi le cap des grandes espérances et faire comme s’il était encore devant. Jeunesse blessée est un journal de bord tenu par deux hommes et une femme qui réclament l’amour à tue-tête. Une pièce en forme de tombeau pour amants perdus. Falk Richter y est tout entier.

 

L’intérêt de sa prose est peut-être là: un art d’aimer contrarié. Pas forcément du grand théâtre. Mais une manière d’alterner les focales, tantôt sur la chambre noire du spleen, tantôt sur les plaies et coutumes de la société. Cela donne deux voies, l’une sociologique quand Falk Richter met en pièces le langage des technocrates (Sous la glace, monté par Andrea Novicov); l’autre autobiographique, mais par la bande, c’est celle de My Secret garden (toutes les pièces sont éditées en français par L’Arche).

 

«Alors, Falk Richter, d’où est né ce texte?» «A l’origine, il y a souvent une phrase, raconte-t-il. Ou une atmosphère extrême. Dans le cas présent, c’est: «Mais tu dois faire quelque chose.» Une autre me trottait dans la tête: «Mon cœur se consume lentement.» C’est le problème des trois personnages, du DJ, de l’écrivain en panne d’inspiration et de leur amie. Ils sont suspendus entre deux temps, ils vieillissent, mais n’agissent plus. C’est de moi qu’il s’agit, bien sûr, et de mon entourage.»

 

Chez Falk Richter, la première phrase est une clé. Elle ouvre une porte, un couloir se présente, mais il fait nuit. «Pour Jeunesse blessée, je n’avais pas de scénario a priori, mais une idée. C’est souvent ainsi chez moi, j’écris dans le brouillard et peu à peu il se dissipe, j’entrevois une direction, la construction s’impose. Il est devenu clair que le récit allait se développer en trois nuits et que chaque nuit correspondrait à la blessure d’un personnage.»

 

L’écriture est une plaie qui saigne, enfin. Falk Richter inspire ce genre de considération discutable. C’est son histoire qui souffle cela. Son enfance, il la passe à Hambourg dans une famille aisée, dominée par un père entreprenant qui, adolescent, aurait rejoint les jeunesses hitlériennes. Son adolescence est traversée par des poètes, comme le metteur en scène Peter Zadek, des artistes qui reformulent en fables les questions qui fâchent. Falk Richter sent que sa vie sera là, au bord de la fosse, dans cette nuit d’artifice où des acteurs deviennent des personnages, où des personnages s’évaporent en idées du monde.

 

Le théâtre posséderait ce pouvoir pour lui. Quand on lui demande pourquoi il privilégie cette forme, lui qui admire les romanciers Bret Easton Ellis et Michel Houellebecq, il répond: «A cause des acteurs. Ils mélangent la fiction à leur propre vie, ils se transforment devant nous. L’écriture est solitaire, la lecture aussi. Le théâtre est une expérience collective, on regarde le monde ensemble.» A un moment, dans Jeunesse blessée, les deux hommes et la femme se serrent comme des enfants quand l’orage vient. Le théâtre selon Falk Richter, c’est la foudre et la tendresse soudain d’une ondée.


 

ANNE TISMER, UNE BRÛLURE DANS LA NUIT
 

 

Le Temps, Alexandre Demidoff, 29 septembre 2011

 

(...) Au Loup – mais dans le cadre de la saison du Poche – un DJ très satisfait de ses attributs reçoit un écrivain en mal d’inspiration et une amie haut perchée sur ses illusions chancelantes. La scène est immense, avec au centre un matelas posé sur des caisses rouges, une pile de livres ici et des néons qui projettent leur feu sur les acteurs. Le spectacle commence par sa meilleure part, l’actrice allemande Anne Tismer qui dit: «Mais il faut que tu fasses quelque chose quand même.» Elle s’adresse au DJ et à elle-même sans doute. Ces trois amis fêtent des retrouvailles. Ils se heurtent en réalité aux cadavres de leurs espérances. (...)

 

Ce qui touche dans Jeunesse blessée, c’est surtout la troisième nuit, celle où Anne Tismer incarne une épouse en rupture de certitudes. Dans le lit conjugal, elle comprend soudain que son mari (Yoann Blanc) est un étranger. Au milieu de ses draps, l’actrice fait très peu et beaucoup à la fois. Elle débite la stupeur de ne plus se reconnaître, voix de cristal ébréché. Elle dresse sa silhouette de sylphide piégée par la forêt. Elle entend des voix comme le soldat Woyzeck dans la célèbre pièce de Büchner et ces voix, on les entend avec elle. Ailleurs, dans le spectacle, elle dit: «Est-ce qu’on ne pourrait pas toujours rester enfant? Ne jamais arriver.» C’est une petite sœur qui parle à beaucoup d’entre nous.


 

FALK RICHTER: SISMOGRAPHIE DE NOS VIES
 

Gauchebdo.ch, Bertrand Tappolet, 16 septembre 2011

 

 

Au cœur de trois nuits sans sommeil hantées par des trentenaires (Anne Tismer, Fabrice Adde, et Yoann Blanc), l’auteur de « Jeunesse blessée », Falk Richter dévoile la coexistence de deux côtés, le yin de la jeunesse portée disparue et le yang d’une improbable maturité. Tous sont prisonniers d’une même solitude, insondable, incandescente. Tous peuvent se retrouver dans ces paroles de Mère Teresa : « La plus grande pauvreté, c’est de ne plus compter pour personne. » Dans un découpage dramaturgique proche du cinéma, chaque nuit est dévolue à l’un des personnages. Chez ces trois amis qui se retrouvent, alterne le feutré et le glacé. Que reste-t-il des utopies et rêves passés ? Réponse au genevois Théâtre du Loup jusqu’au 2 octobre où la pièce est programmée par le Théâtre de Poche.

 

Une scène jeunesse

Le monde que décrit de sa plume clinique et inspirée le dramaturge se retrouve privé de repères, en quête de l’hypothétique comblement d’un manque. Deux protagonistes sont cadres dynamiques. Leur intimité dynamitée et minée de l’intérieur, ils retrouvent le troisième resté accroché à la désolation d’une vie recluse, son corps semble pourrir sur place, perclus de douleurs lancinantes. « Un type qui essaie plus ou moins de lutter contre l’idéologie du travail comme centre de la vie : la carrière, la réussite commerciale, etc. Il est DJ et vit un peu comme un artiste free-lance, écoutant toujours le même titre, sort de morceau suprême, à ses yeux, réalisé par un compositeur disparu, ignoré pour son génie. Mais à 35-36 ans, une telle position devient un peu tragique. N’avoir rien réalisé à 40 ans, c’est moins drôle qu’à 20 ans », explique Falk Richter qui signe aussi la mise en scène. Les pièces de l’Allemand sont les œuvres d’un moraliste, dont le regard acéré les soubresauts d’êtres en pleine dislocation psychologique face à un vieillissement qui les panique, tant il est devenu source d’exclusion dans nos sociétés. L’attente sans but est aussi prégnante et contamine l’ensemble du casting. Elle est bien décrite ailleurs, dans autre pièce de Richter, Electronic City  : « Se reposer, s’effondrer, avaler des médicaments, regarder la télé, se détendre, attendre, attendre, mais quoi, quoi ? ».

 

Si proche et si loin

Une culture de l’angoisse qui amène à un enferment sur soi, une incapacité à communiquer sa nature déboussolée. Devant un tel tableau on pourrait craindre de sombrer dans une neurasthénie morbide. Fort heureusement, comme tous les grands pessimistes, Falk Richter (Das System, Sous la glace, My Secret Garden) se révèle souvent étonnamment drôle. C’est l’écriture à l’ère du zapping. Ses textes ne sont pas que des pièces. Mais plutôt des partitions et des matériaux mouvants, permettant de passer d’un genre à l’autre, du sitcom au drame, en serpentant par le mélo. Une poésie actuelle, parfois irritante dans sa crudité comme dans ses « chats » entre amateurs de site de rencontre charnel. Un ton souvent cruel et tendre à la fois. De manière lancinante, elle dit néanmoins beaucoup sur l’amour, la solitude et le monde qu’on n’en avait entendu depuis longtemps. Comment se fait-il que ce besoin de l’autre est aussi largement méconnu et bafoué ?

 

Son écriture est caractérisée par des changements de registre déroutants, des contrastes de styles très prononcés : le dramatique sombre inopinément dans le ridicule, le grave glisse vers le léger. « On ne sort que parce qu’on est seul et qu’on ne supporte pas le silence chez soi, et alors ils vous bavassent leurs problèmes ou leur vie excitante tellement elle est bandante et déjantée, ils s’incrustent partout, inventent et mettent en route des choses ou je ne sais quoi, ils ont tous plein de trucs en cours », lâche l’un des personnages, tout en s’acharnant à mettre en pièces les lattes de son lit pour faire du feu. Car le chauffage est en rade et le froid s’insinue dans les corps. Un autre épisode le découvre s’emportant sur les sushis, dont la chair poissonneuse lui évoque les corps flottants des 250 000 victimes du tsunami en 2005. A l’image d’Electronic City (2002) qui participe à la reproduction à l’infini du même vide existentiel, des mêmes valeurs exsangues, mises en crise, ou d’une pseudo contre-culture issue des forums sur le web et singulièrement raillée.

 

Identités tournantes

La scénographie pose une sorte de no man’s land existentiel. Un loft à l’abandon traversé de nappes musicales électro soul que viennent interrompre les tubes de Nirvana et Justin Timberlake, disque oublié par une copine anonyme et saoule. La pièce distille trois huis clos où le réalisme râpeux cède souvent l’espace à des trouées oniriques. Où le son et la vidéo insufflent une dimension rythmique, méditative et atmosphérique essentielle. La mis en scène ne craint pas de distendre le temps aux extrêmes, voir de diluer son propos dans des corps qui semblent littéralement flotter à la dérive sur le plateau, alternant séquences fébriles et transes languides. La vidéo, elle, est une écriture à part entière, qui verse dans des effets de mosaïques en images pixellisées ou mise en relief des corps des personnages. Toujours en lisière de folie, Anne Tismer intrigue en jeune femme travaillant dans la pub, mariée à son patron et niant la venue au monde d’un enfant.

Falk Richter semble aussi faire tourner les rôles et les voix entre les comédiens. Une stratégie dramaturgique qui renforce l’effet d’incertitude sur l’identité de chacun chez le spectateur. Bel et ici légèrement brouillon effet miroir des interrogations mêmes des protagonistes « Dans Dieu est un DJ, on peut déjà se demander si elle et lui ne sont pas deux faces d’un même personnage ; dans Nothing hurts, les personnages de Sylvana et Bibiana s’entremêlent parfois, leurs rapports s’inversent. Dans Sept secondes, ce principe est poussé à l’extrême : il y a quatre ou huit voix, le personnage du pilote qui s’écrase, de sa femme sont assumés alternativement par les différents lecteurs-performers », souligne Anne Montfort traductrice de l’œuvre théâtrale de du dramaturge allemand.

 

Etranger au monde

N’était-ce le style, proche parfois ici du sms, on est souvent proche d’un Michel Houellebecq dans cette manière parfois crue d’instiller une ironie corrosive et une déréliction abyssale à un texte qui dresse le constat d’échec des sociétés libérales et en accusent le ridicule, la solitude et la bêtise ambiante. Les trois personnages de la pièce pourraient se retrouver dans ce constat que pose Houellebecq au détour de La Poursuite du bonheur : « Quelque chose en mois se fissure, / J’ai besoin de trouver la joie / D’accepter l’homme et la nature, / Je n’y arrive pas. J’ai froid. » Dans Jeunesse blessée, il est souvent question d’une douleur qui est brûlure au cœur évoquée par chaque protagoniste. Un feu qui voit les personnages tour à tour se consumer sur place sans parvenir à se dire et à s’ouvrir l’autre.

Seconde étape nocturne où l’ex ami et amant ― comme enfermé à l’extérieur ― tente désespérément de pénétrer le seuil de l’appartement du DJ qui semble métamorphosé en jeune homme clean portant en tenue immaculée à capuche. Oscillant entre le vaudeville, le cri et la conversation par interphone interposé, les répliques s’échangent au micro dans des dialogues mécaniques qui tous disent une solitude viscérale et le simple désir de s’endormir à deux. Le troisième volet voit la femme saisie de terreur nocturne, ne reconnaissant plus l’homme qui dort à ses côtés. « Qui es-tu ? », le harcèle-t-elle. Dans une tonalité qui n’est pas sans évoquer la désorientation au sein de couple, où l’un des conjoints ne reconnaît plus l’autre. Si tant est qu’il l’ait un jour vraiment appréhendé. Ce qui fait la séduction de cette écriture, c’est une forme de désinvolture désespérée et désenchantée. On est à cent lieues dramaturgies démonstratives de l’incommunicabilité chères au théâtre de l’absurde. L’auteur laisse l’ironie s’immiscer : être proche reste du domaine de l’abstraction.

Jeunesse blessée. Une programmation du Théâtre de Poche créée à l’occasion de Festival de La Bâtie et qui se joue au Théâtre du Loup, 10 ch. de la Gravière, Genève. Jusqu’au 2 octobre 2011 Rens. et rés. : www.lepoche.ch et www.batie.ch


 

FALK RICHTER ET LA SPIRALE DU VIDE
 

 

Tribune de Genève, Lionel Chiuch, 17-18 septembre 2011

 

 

Ils tombent. Ils n’ont jamais cessé de tomber. Les trois protagonistes – deux hommes, une femme – de Jeunesse blessé sont des corps en chute libre dans une époque fascinée par le vide. L’un d’eux est resté ancré à son nihilisme tandis que les deux autres ont seulement appris à faire semblant : d’aimer, de mener carrière, de tenir en équilibre.

À l’occasion de l’anniversaire du plus récalcitrant, alors qu’ils ne se sont plus vus depuis dix ans, voilà qu’un grand froid s’abat sur eux et sur leurs simulacres. Il faudrait, pour résister, s’unir à nouveau, mêler les sueurs, étreindre jusqu’à s’étouffer. Toutes tentatives vouées à l’échec : l’addition des vertiges ne tisse aucun filet protecteur. Et n’est désillusionné que celui qui, soucieux de l’avenir, s’est nourri d’illusions.

Ce n’est pas une crise de la quarantaine que nous montre Falk Richter, mais bien une crise des valeurs, lesquelles ne fructifient que sur le cadavre des « possibles ». […] L’engagement des comédiens – fascinante Anne Tismer – et la noirceur du trait donnent au spectacle le goût amer, mais toujours édifiant, des gueules de bois.


 

SI ON POUVAIT NE PAS GRANDIR
 


Pièce noire et forte sur les jeunes "no future" et la peur de l’avenir. Jeunesse blessée de Falk Richter au National avec la formidable Anne Tismer.

La Libre Belgique, Guy Duplat, 26 février 2009

 

Bonne nouvelle. Falk Richter qui avait enthousiasmé avec Unter Eis est de retour avec une création, en français, présentée au Festival de Liège et aujourd’hui, au Théâtre National.

- Mais attention, Jeunesse blessée est très noir, désespéré. On y croise un trio de trentenaires déboussolés. Deux sont des cadres d’entreprises qui masquent tant bien que mal leurs blessures. Ils retrouvent dix ans plus tard, le troisième avec qui ils ont tant fait la fête du temps de leur jeunesse. Ce troisième reste éclaté, fêlé comme lorsqu’il avait vingt ans et s’éclatait au rock, au sexe et à l’alcool.

- Oui. Et on les croise le jour symbolique de leur anniversaire, où on grandit d’un an alors qu’on ne le veut pas.

- Non. Ils ont peur de l’avenir : l’un ne parvient pas à commencer le roman dont il rêvait, l’autre sillonne le pays pour une boîte de pub mais cela l’ennuie, l’enfant qui va naître est vu comme une catastrophe et le "fêlé" reste un DJ mais que plus personne n’écoute. Quant au sexe qu’ils ont usé jusqu’à la corde, homo ou hétéro, il vire à l’impuissance.

- Leurs phrases le disent : "mon cœur se consume lentement". Il fait toujours trop froid dans l’appartement comme dans les cœurs. "Si on pouvait rester ensemble, comme une grande famille", répètent-ils. Retourner au placenta originel. "Toutes les décisions mènent à de la merde, si on pouvait ne pas décider."

- As-tu vu dans l’appartement du "fêlé" ? Les livres sont de Rimbaud et de Vian.

- Dans la deuxième partie, deux séquences abordent le même thème. Un couple homo réuni par les petites annonces Internet et un couple hétéro dans son lit, se heurtent à l’incompréhension et l’incommunicabilité. Tous deux disent "qu’est-ce que tu veux de moi ?"

- Les psychanalystes expliquent que c’est la question essentielle de l’amour, du "désir du désir de l’autre".

- Jeunesse blessée est un titre parfaitement choisi !

- On peut comprendre ce refus de l’avenir quand on voit comment va le monde.

- Beaucoup a changé il y a quelques années à peine quand les sondages ont montré que pour la première fois depuis des siècles, plus de la moitié des gens, et des jeunes en particulier, disent que leurs enfants vivront plus mal qu’eux-mêmes. L’espoir d’un monde meilleur est mort chez eux. Dans la pièce, on s’avance vers l’hiver, on collecte du bois pour se réchauffer, on se serre les uns contre les autres comme des bêtes apeurées, pour tenter de trouver un peu de bonheur.

- Falk Richter a mis lui-même en scène, la pièce, de manière très forte et souvent, crue.

- Tu as bien aimé parce qu’il y a Anne Tismer.

- C’est vrai que l’actrice allemande y est à nouveau très bien comme dans Negerin joué il y a quelques jours à peine au National et dans 20 novembre de Lars Noren. C’est une magnifique actrice mais Fabrice Adde et Yoann Blanc sont fort bien aussi.

- Une pièce noire, sur les dérèglements de nos sociétés.

- Mais une plaie à vif n’est pas noire. Et quand on pose la main sur cette plaie, on sent battre les cœurs, on sent la vie. Malgré tout. Mieux que dans l’ordre glacé des conventions forcées. Il faut la voir.


 

GÉNÉRATIONS DÉSENCHANTÉES
 

 

Le Soir, Jean-Marie Wynants, 9 février 2009

 

J’ai besoin d’amour et des autres. C’est tout ce que j’ai trouvé. Aimez-moi ! Ça peut servir.

Les personnages de Falk Richter ne disent pas autre chose. Ils ne sont pas de la même génération. Ils en seraient plutôt les grands frères. Des trentenaires approchant la quarantaine et cherchant désespérément un sens à leur vie.

Ils sont trois, réunis dans le loft du plus trash d’entre eux pour son anniversaire. On comprend vite que ces trois-là se sont aimés puis séparés, se perdant un peu de vue. Chacun vogue comme il peut, s’accroche aux bouées qu’il trouve sur son passage pour ne pas couler.

Il eût été facile pour l’auteur de camper un personnage paumé et deux autres ayant touvé leur voie. Il brise rapidement cette fausse image et la retourne comme un gant dans une deuxième partie où l’on découvre pleinement le naufrage quotidien des deux autres.

On n’est pas très champion en amitié, en chaleur humaine. Ce n’est pas la bonne période.

Ici aussi le réalisme, parfois très cru, débouche régulièrement sur des scènes oniriques où la vidéo, le son et la musique prennent une énorme importance comme dans un film en trois dimensions.

Rien ne serait possible toutefois sans des acteurs s’investissant corps et âme dans leur rôle. Fabrice Adde est bouleversant en DJ ému par la grâce d’un seul disque, s’accrochant à ses amis comme à sa dernière planche de salut. Yoann Blanc, avec ses allures de garçon calme, ne tarde pas à exploser, révélant comme les deux autres un immense besoin d’amour. Quant à Anne Tismer, campant la jeune femme qui a choisi de se ranger, elle est peut-être au final la plus effrayante dans cette quête absolue de chaleur humaine que chacun résume par cette phrase obsédante : « Écoutez mon cœur. Il se consumme lentement ».


 

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