Au Poche, Albahaca retrace en notes et en effluves l’histoire d’un exil.

Le Courrier, Dominique Hartmann, 22 décembre 2010

 À peine le spectacle a-t-il débuté qu’une senteur appétissante s’insinue dans la salle. Michèle Millner, qui signe Albahaca, donné jusqu’au 31 décembre, est partie d’une vérité simple et savoureuse : l’odeur et le goût, qui tiennent ici un véritable rôle de personnage, déclenchent les souvenirs avec une efficacité inouïe. Le titre du spectacle lui-même rend hommage à cette magie : c’est grâce à un butin de basilic, l’albahaca, qu’est revenu à la mémoire de la comédienne et chanteuse un pan de vie entre le Chili de la fin des années 1960, l’Australie et Genève, où elle fonde avec Patrick Mohr le Théâtre Spirale.

Pour la petite fille qu’elle était – jouée par la jeune comédienne Jeanne Pasquier – la vie se partage entre un père de gauche, une mère de droite, une petite sœur avec qui elle commet toutes les sottises de monde, et sa « nana », représentée sur scène par Montse Sadurni en ange du foyer installé devant des monceaux de mandarines et de tomates. Aux épisodes d’une histoire personnelle ordinaire – considérés en biais par les dessins joliment ingénus de Miriam Kerchenbaum – se mêlent ceux de la grande Histoire, notamment grâce à des images d’époque évoquant l’élection puis la destitution de Salvador Allende.

Le théâtre le sait bien : il n’y a guère d’histoire qui ne puisse constituer la trame d’un spectacle, seule importe la qualité du récit. Celui-ci est porté par des poèmes de Pablo Neruda – avec son délicieux Ode à la tomate – Gabriela Mistral et Michèle Millner, qui reprend de sa belle voix ample des chants populaires de Victor Jara et des créations originales d’Yves Cerf, Paco Chambi et Sylvain Fournier [... ].

Spectacle musical où la mémoire renaît d’une odeur. Il se termine sur scène, par un repas entre comédiens et spectateurs. 

La Tribune de Genève, Alain Giroud, 17 décembre 2010

« Un jour, dans le quartier italien de Sydney, j’ai senti une odeur que je connaissais. Mais je ne savais plus d’où et je me suis mise à pleurer. Je me suis approchée d’un jardin et un vieux monsieur m’a tendu la main. Il m’a dit « basilico ». Et les parfums de mon enfance ont envahi mon âme. »

Albahaca a renvoyé Michelle Millner dans le Chili de son enfance. « Albahaca, nom espagnol du basilic avec ses airs et sa sonorité arabe… » Ce souvenir intense débouche sur un spectacle hors du commun au Théâtre de Poche. Un évocation poétique et musicale qui vous plonge dans un monde inconnu et connu à la fois.

L’histoire de Michelle Millner ? La saga d’une famille qui a fui l’Espagne de Franco, s’est réjouie de l’arrivée d’Allende et a fui le Chili après le coup d’État de Pinochet.

Su scène se déroule un ballet envoûtant dans une ambiance musicale évoquant le Chili sur des tonalités jazzy. Yves Cerf vous fait vibrer avec son saxo basse aussi grand que lui, Paco Chambi caresse les cordes de sa guitare avec passion et Raúl Esmerode assure le rythme de ce moment de bonheur. Michelle Millner se dédouble avec Jeanne Pasquier, jeune comédienne de 21 ans dans son premier rôle, Elle représente Michelle enfant et les deux personnages se croisent, se frôlent, se confondent parfois. Les chants qui montent, souvent traduits grâce à des projections, évoquent avec force les sentiments d’une gamine vivant un drame qui déchire même ses parents.

En filigrane, les odeurs sont omniprésentes. Dans un coin de la scène, Montse Sadurni a conservé son tablier de cuisinière au restaurant des Bains des Pâquis. Elle tient le rôle sur scène, chante d’une voix grave, se mêle avec talent à la troupe.

Albahaca est un pur moment de poésie. Que le spectateur peut prolonger en partageant le plat préparé par Montse, sur la scène, avec les comédiens, après la représentation. Une communion si rare qu’elle est précieuse. Et qui résume la vraie finalité de la cuisine : le partage avec l’autre.