QUELQUES MOTS SUR LE CHOEUR


VISIONS D’ÉCORCES


QUELQUES MOTS SUR LE CHOEUR
 

ou chaque choeur recrée un monde
Éric Devanthéry, juillet 2009


Sans refaire ici l'histoire du théâtre, il suffira de préciser que le choeur - la cité des hommes - traverse les siècles, pour venir, sans cesse, depuis les premières tragédies, poser encore et encore des questions. Depuis l'Orestie, avec son leitmotif scandé : agir, souffrir, apprendre... ou plus proche de nous les choeurs de certaines pièces de Brecht : apprendre, comprendre, faire... ou encore un choeur contemporain, chez Roland Schimmelpfennig : poser des questions, esquisser des réponses.

Je convoquerai donc la tradition avec cette parole plurielle. Je veux que le choeur soit tout à la fois : voix du pouvoir, rumeurs et vox populi, voix de la majorité souvent silencieuse (mais qui pense évidemment).

Et nous interrogerons ensemble, vocalement, corporellement, la question à l'oeuvre dans Écorces de Jérôme Richer, la question de l'engagement. La question du "que faire de sa vie" ? Comment être un individu responsable parmi une multitude ?

J'attends des figurant(e)s qui participeront au spectacle une grande attention collective, une envie de mettre son individualité au service d'une histoire collective. Une capacité à laisser son ego de côté, sans l'oblitérer totalement, car un choeur n'est pas uniquement la somme de ses individualités, de ses personnalités, mais il crée quelque chose de supérieur. Il crée un monde.


Et évidemment il faut un désir de monter, et remonter, sur scène. il faut vouloir côtoyer des comédiens professionnels, il faut avoir l'envie de s'inscrire dans un projet artistique exigeant. Il faut vouloir, à chaque représentation, recréer le monde

 


 

VISIONS D’ÉCORCES
 

Propos d’Éric Devanthéry recueillis par Nalini Menamkat

Éric, tu as fait une partie de tes expériences théâtrales à Berlin, en quoi cela a-t-il nourri ton parcours ?

Après ma mise en scène d'Anéantis de Sarah Kane, j'ai rencontré un comédien qui avait travaillé en Allemagne. Il m'a conseillé de poursuivre ma formation à Berlin; il trouvait que mon univers, mes choix de textes, mon esthétique me rapprochaient d'un certain théâtre allemand. Berlin devenait donc une évidence. Je suis parti. Le rapport d'étrangeté à la langue m'intéressait aussi, car je ne suis pas bilingue. À la Schaubühne et à la Volksbühne surtout, je crois que j'ai compris une chose essentielle: il faut toujours se méfier du caractère absolu que l'on donne au texte. Le théâtre est un langage propre, dont le texte est un constituant, comme les comédiens, ou la mise en scène.
Je crois que j'y ai appris quelque chose qui a à voir avec la liberté. L'affirmation de son univers personnel, le refus de l'autocensure.

Tu sembles avoir très vite opté pour la mise en scène ; qu’est-ce qui t’a porté de ce côté-là du plateau ?

J'ai besoin de tout ce travail en amont: la dramaturgie, les choix scénographiques... Je trouve toujours incroyable, lorsque ça marche, la manière dont un texte, des impulsions de mise en scène, des ambiances, se mettent en place avec un public, et existent. J'aime ce sentiment de créer un univers, d'emmener toute une équipe sur mes traces. C'est un sentiment de démiurge, mais ni vengeur ni omnipotent. J'aime aussi tout particulièrement ce que suppose l'oeil du metteur en scène, ce paradoxe qu'est la supposition d'un public idéal, qui évidemment n'existe jamais.

Y a-t-il un fil conducteur dans le choix de tes textes ? Des problématiques qui te semblent récurrentes dans ton travail ?

Oui. Je lis beaucoup de textes contemporains, j'aime les découvrir en création, cette possibilité d'ouvrir une première piste avec une pièce qui n'a pas encore été mise en scène. Même si on retrouve un certain nombre de thèmes récurrents dans mon travail (la question de la représentation de la violence, notre aliénation au monde ou à certains schèmes psychologiques), ce qui motive toujours mon choix d'un texte est l'émotion qu’il me procure, sa modernité, à savoir, ce qu'il dit sur le monde d’aujourd'hui. Le texte doit me toucher à la première lecture.

Connaissais-tu déjà Jérôme Richer ? Qu’est ce qui a motivé ton choix de l’un de ses textes ?

Je connaissais Jérôme Richer à travers son travail de metteur en scène, mais je n'avais pas lu de texte de lui. Immédiatement après avoir découvert Écorces, en reposant le manuscrit, j'avais un très bon sentiment. La pièce évoquait en moi plein de choses, j'y entendais des échos d'autres auteurs que j'apprécie (je pensais  à l'univers de certaines pièces anglaises, comme celles d'Edward Bond par exemple). Je me suis tout de suite mis à faire des associations avec d'autres oeuvres littéraires (1984 de George Orwell), ou cinématographiques (Brazil de Terry Gilliam). La pièce ouvrait un champ de possibles, dans lequel j'avais envie de me glisser.

Quels sont pour toi les atouts et les dangers de cette pièce ?

L’atout, si on peut parler en ces termes, c'est celle de ces deux histoires (les deux soeurs, le soldat) qui ne se rejoignent pas - en apparence. Pourtant il est question, très certainement, du même monde. Il est question d'un univers contrôlé, surveillé, brutal. Pour les dangers, comme pour chaque pièce, ils sont nombreux. Il y a une chose qui est toujours très difficile à régler, ce sont les entrées et les sorties des comédiens même si cela semble banal. Ici, en apparence, le problème est réglé, car les comédiens sont tous sur le plateau. Mais cela redouble la difficulté, car les scènes s'enchaînent, souvent très rapidement, et il faut trouver un moyen de faire « arriver » les comédiens alors qu'ils sont déjà là, faire advenir les scènes. L'autre danger (mais tout est danger finalement lorsque l'on met en scène) est lié à l'écriture et au passage du texte « en bouche ». Nous verrons comment il peut être parlé par les comédiens, et en même temps comment nous lui donnerons une spécificité théâtrale.


 

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