texte_Cédric Bonfils
mise en scène_Guillaume Béguin
une femme hurle et pleure dans un immeuble elle a un couteau dans la main un homme l’a trouvée il est chez elle il se tient auprès d’elle il lui parle toute la nuit il lui parle il lui dit les images dans sa tête les images du jour et celles de la nuit celles de l’amour et celles du manque elles cognent dans ses tempes le soir avant de s’endormir pendant que tourne en boucle la peur dans ce pays où il n’a nulle part où aller pas les bons papiers il lui dit le désir et la détresse aussi nus que sa voix il est tout près d’elle tout près de sa folie aussi qui était fou en premier ? à cette heure sauvage cela devient trouble et elle ne se réveille pas non non non elle ne se réveille pas
Vous vous êtes endormie
avec un étranger tout près de vous
Un homme est assis face à une femme. Elle faisait une crise de nerfs sur le palier, il l’a ramenée chez elle, elle s’est endormie. Elle tient un couteau, que ses mains enserrent. En attendant son réveil, il lui parle. Il fait défiler à voix haute tout ce qu’elle pourrait imaginer en le découvrant ainsi dans son appartement. Il imagine ses peurs et donne à entendre les siennes. Il se confie, lui fait partager ses espoirs, ses blessures, sa nostalgie. Au détour d’une phrase, on apprend qu’il est sans domicile fixe, sans papiers, loin de sa langue et de son pays. C’est alors surtout sa solitude qui résonne dans le silence de cet appartement nocturne. Et l’humanité de celui qui ose aller à la rescousse de l’Autre, de l’étrangère*, de l’inconnue. Ce monologue adressé à une personne qui ne répond pas, forme amorcée par La voix humaine de Jean Cocteau, révèle sa profondeur dans une situation théâtrale extrêmement simple. Une litanie dont la sincérité s’insinue et se dépose en nous, portée par une écriture fine et mélodieuse.
Il faut beaucoup de délicatesse pour adresser une parole simplement à une femme muette. Cédric Bonfils fait avec nos peurs, nos angoisses, nos excuses une parole qui se veut consolante et caressante et est capable de mener ce dialogue sans partenaire avec une rare élégance.
Cette parole sera amenée au plateau par le talentueux Guillaume Béguin qui a su montrer son talent tant dans les comédies de Rebekka Kricheldorf au POCHE /GVE
qu’en portant les silences d’un Jon Fosse ou la poésie d’Edouard Levé. Il saura tenir au cordeau cette parole dans la nuit muette.
Les spectacles du sloop4 sont soutenus par la Fondation Leenaards.
[…] Delage, psychologue clinicienne qui a accompagné le projet TUTSI !, Cédric Bonfils, auteur de Votre regard et animateur en lecture à voix haute, Alice, membre du comité de spectatrices[1] et Alban […]